Depuis un certain temps, je vais au Palais de Tokyo un peu à reculons tant les « pitchs » des expositions paraissent séduisants et tant le résultat se révèle décevant.
Autant le dire tout de suite, « Dynasty » est plutôt l’inverse : un argumentaire peu engageant et des œuvres de qualité ; même si on peut redouter que « Dynasty » soit une sorte de re-make de « Notre histoire » (2006), le barouf d’honneur de Bourriaud et Sans.
Finalement, l’exposition est suffisamment dense pour que chacun y trouve son bonheur, même si le nombre n’excuse pas l’absence de cohérence de l’ensemble. Mais comme semble le suggérer la brochure de l’exposition, « Dynasty » n’est pas à lire comme une exposition « à thème » mais comme la présentation d’une succession d’œuvres de jeunes artistes prometteurs. Et comme toute exposition de cet acabit, elle ne parvient pas tout à fait à se différencier d’une présentation du type « diplômes des Beaux-Arts ».
La première salle présente une série de pièces monumentales très dans l’ère du temps. Seule une chronologie d’Alexandre Singh parvient à sortir du lot, même si la réalisation est par moments un peu baclée (probablement un problème de rapport d’échelle entre le lieu et l’œuvre, car les vues de l’exposition à la Jack Hanley Gallery (San Francisco) paraissent mieux défendre l’œuvre sur ce point).

Les peintures de Raphael Ricol font souffler un petit air de « Zeitgeist » (exposition mythique de Berlin en 1982 signant le « retour à la peinture ») sur le Palais de Tokyo, même si les toiles de l’artiste reprennent peut-être un peu trop opportunément les références à la culture video game.
Petit problème avec les sculptures cartoonesques de Théo Mercier dont le travaille est tout de même très proche de celui de Philippe Mayaux. Cette proximité est un peu moins flagrante avec une autre œuvre de Mercier présentée au même moment à La Maison Rouge, mais cela est probablement dû au contexte particulier instauré par la collection de coiffes d’Antoine de Galbert. Et puis, il y a ce truc énervant des brochures/communiqués de presse qui avancent l’argument de l’artiste « autodidacte » comme gage de qualité artiste. Il faudrait m’expliquer comment on peut être « autodidacte » en étant diplômé d’une grande école de design (ENSCI). Il faudrait également m’expliquer comment le type qui écrit les brochures du Palais de Tokyo fait pour ne pas voir qu’il y a sur ce point une contradiction dans son texte (par ailleurs, je conseille de lire attentivement la fiche « Théo Mercier » qui est un modèle du genre : on peut remplacer « Théo Mercier » par n’importe quel nom d’artiste et ça marche toujours…).

La salle la plus intéressante — tant du point de vue de la scénographie que des œuvres elles-mêmes — reste celle où sont exposées les œuvres d’Alan Della Negra et Kaori Kinoshita (The Coming Race, 2010) et la sculpture de Vincent Mauger (Sans Titre, 2010).
Alan Della Negra et Kaori Kinoshita présentent une série de portraits d’individus ayant un rapport pour le moins mystique au monde. Chamans et « chamanettes », néo-druides et animistes de tous poils se côtoient dans cette étonnante galerie de portraits. Les deux artistes font ici œuvre d’ethnographes au pays du New-age.
Le seul souci reste les motivations de Della Negra et Kinoshita dont on n’arrive pas bien à savoir où ils se situent par rapport à leur sujet. Si la plupart de ces clichés (accompagnés de leur texte) peuvent faire sourire, il n’est pas certain que cela soit le but recherché, du moins si on en croit l’implication des deux artistes dans leur projet. La photo des « Guerriers de l’Arc en ciel« , groupe composé de deux couples de post-ados écolo-catho-de-gauche option « guitare sèche » est assez ravissante tant la sincérité affichée des quatre zigues n’a d’égale que l’amusement qu’ils ne manqueront pas de procurer au visiteur. Idem pour la photo consacrée à Sonja K. – chamane de son état plus connue sous le nom de « Jaguar Bleu » – qui trône dans son salon noir et blanc au milieu de statuettes eighties de félins en plâtre vernis. De toute sa superbe, fraichement liftée (probablement pour se fondre dans la masse des rombières vaudoises…), la femme féline fixe l’objectif d’un œil à demi absent, nous poussant ainsi à réviser l’image qu’on avait jusqu’alors du chaman (grosso modo un vieux type taciturne qui vit en haut de sa montage avec une peau de bête sur les épaules). Le petit malaise vient probablement qu’on a un peu l’impression d’assister à un « diner de cons« , même si tel n’était pas le projet des deux artistes…

La sculpture de Vincent Mauger vient comme un réel contrepoint à cette galerie de portraits. Sans Titre (2010) vient barrer la pièce et s’impose comme une sorte d’énorme débris, un grava géant à la fois d’une élégance rare tout en restant inquiétant. On pense à un morceau du Palais de Tokyo effondré, à un film catastrophe, à un porte-avion échoué au milieu du musée. Cette scène d’apocalypse — suggérée par une sculpture pourtant si « propre » — finit d’entrer en collision avec les photos des « ravis de la crèche » de Della Negra et Kinoshita présentées à sa périphérie. Si bien que les deux œuvres finissent par être totalement complémentaires dans la scénographie de l’exposition Dynasty. A signaler aussi, non loin de là, la très belle pièce de Jorge Pedro Nunez (Sans titre).

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A signaler une iconographie assez complète de cette exposition sur le blog ZetForArt (contrairement à ce qu’il y a sur le site du Palais de Tokyo et dans le dernier numéro de Palais qui pour le coups ont vraiment fait du remplissage!)
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Dynasty, Palais de Tokyo et Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, jusqu’au 5 septembre 2010.
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Merci pour cet excellent article
amicalement
Gilles
merci pour vos encouragements gilles
Merci aussi pour cet article sur Alan Della Negra et Kaori Kinoshita, il est bien écrit, j’adore les analogies décrites.
Amicalement
lander