
Depuis mi-septembre, c’est l’exposition de Takashi Murakami au Château de Versailles qui défraye la chronique. C’est presque devenu un marronnier de la rentrée, un peu comme les scandales de la rentrée littéraire ou le prix des cartables des mioches.
Alors que certains comme Valérie Duponchelle du Figaro tentent de transformer le débat en « pour ou contre l’art contemporain? » (ce n’est vraiment pas la question avec cette expo, mais ça fait vendre du papier), on assiste ailleurs à une floraison de pétitions pour la plupart relativement à côté de la plaque («Non aux mangas. Contre les expositions dégradantes au Château de Versailles» (Coordination de défense de Versailles), «Versailles mon amour», etc.). Il paraît évident que chacun cherche à se greffer sur un événement médiatique afin d’en profiter en terme de visibilité. Et d’ici à ce que Charles-Emmanuel de Bourbon Parme (qui doit se considérer comme étant encore propriétaire des lieux) saisisse la justice contre le Château – comme il l’avait fait pour l’exposition Koons – il n’y a qu’un pas… Le noblion n’avait déjà pas obtenu la « tête » de Koons, nulle raison qu’il obtienne celle de Murakami.
De son côté, de manière toute aussi caricaturale, Jean-Jacques Aillagon (Président de l’EP Versailles) brandit l’étendard de la défense des artistes et du combat contre l’extrême droite (catégorie regroupant indistinctement tous ceux qui ne trouvent pas « formid' » l’idée d’Aillagon). Notre fringant ex-Ministre de la culture s’empresse d’ajouter qu’installer des œuvres d’art contemporain dans un château le rend « vivant » (toute la question est de savoir : 1) ce que veut dire un lieu « vivant » (et donc, un lieu « mort »); 2) si un musée doit être « vivant » ; 3) si l’art contemporain ressuscite les « morts » (auquel cas certaines questions théologiques seraient solutionnées dans l’instant) et 4) (question subsidiaire) : pour ou contre l’euthanasie des musées? Pour clore le tableau, l’inénarrable Frédo, actuel Ministre de la culture, se fend comme toujours de déclarations quasi-dadaïstes :
« Personnellement, je suis très protecteur du patrimoine (…). Je suis très à cheval là-dessus. (…) Mais qu’on fasse rentrer l’irrévérence et un « réel savoir-faire » de façon « éphémère » à Versailles ne lui paraît pas une mauvaise chose. « C’est bien que Versailles ne soit pas simplement un musée ».(Nouvelobs.com avec AFP).
No comment…
Mêmes ingrédients de part et d’autre pour confectionner une polémique stérile similaire aux précédentes opérations com’ du Château au sujet desquelles Jean Clair semblait déjà avoir tout dit avec une formule lapidaire dont il a le secret :
«Jeff Koons à Versailles, c’est Breton et Péret à qui le directeur des lieux remettrait l’ordre national du Mérite pour mise à niveau du patrimoine ancien» (Slate.fr).

Dans ce débat, si tout le monde se pose la question du patrimoine et de sa défense, du patrimoine et de son actualisation, de la liberté de l’artiste (qui, comme toujours, se révèle surtout être celle de l’institution à disposer de l’artiste !)… rare sont ceux qui s’interrogent sur l’impacte sur les publics qui visitent le Château de Versailles.
Si on décide de visiter Versailles, c’est généralement parce qu’on désire voir un des monuments marquants de l’histoire de France, témoignage d’une monarchie qui s’isole à Versailles pour donner libre cours à ses délires mégalomaniaques. Pour ceux d’entre nous qui ont suivi une scolarité en France, c’est l’occasion de visiter la « maison » du Roi Soleil (voire de vérifier si il reste quelques étrons royaux derrière les rideaux…). Pour les touristes étrangers, c’est l’occasion de s’immerger dans l’histoire et le style français…
Or dans ce contexte, que signifie le fait d’imposer de l’art contemporain (aussi intéressant soit-il) à des publics qui ne mettront bien souvent qu’une fois les pieds à Versailles ? Que retiendront les visiteurs uniques de Versailles qui consacrent une journée (et une somme rondelette) à visiter ce lieu historique ? Question d’autant plus pertinente que jusqu’ici les artistes choisis pour exposer au Château sont ceux (exception faite de Xavier Veilhant) qui travaillent justement sur l’outrance et le néo-pop tendance bling-bling . Comme si la guimauve versaillaise ne suffisait pas, l’art contemporain plébiscité par la direction des lieux en rajoute une couche, en prenant soin de suivre scrupuleusement le kunstkompass.
Pour employer un terme qui fâche, et compte tenu de la place particulière de Versailles dans l’histoire de France, quelle est l’ambition pédagogique d’une telle opération (il ne faudrait pas oublier que la mission d’un musée ne se limite pas à trouver du mécénat ni à transformer ses espaces en salle polyvalente) ? Sans parler de défense du patrimoine, il faudrait s’interroger sur ce qu’on veut faire avec des lieux comme Versailles, savoir si l’art contemporain doit systématiquement servir de support de com’ aux institutions à cours d’idées, s’interroger sur la pertinence d’une telle expo à Versailles qui se situe à quelques encablures de métro de lieux (réellement) consacrés à l’art contemporain et qui savent faire un travail de médiation autour de ces objets ? Le tout sans compter sur la compréhensible mauvaise volonté des conférenciers de Versailles qui ne manqueront pas de faire part de leurs doutes sur cette opération…