Bertille Bak, Transport à dos d’Hommes, 2012

Dans cette rentrée glauque ponctuée par les foires au bétail de l’art contemporain portant assez unanimement à la nausée, il est parfois de petites perles qui nous rappellent pourquoi on va voir des expos. Parmi ces moments de grâce, l’exposition Bertille Bak au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris.

Presque intimiste, l’exposition est coincé entre les deux parties de celle consacrée à Roman Ondak et offre une respiration salvatrice dans ce parcours. Il n’en demeure pas moins qu’elle marque bien plus que son collègue. Car, en deux vidéo, Bertille Bak parvient à nous transporter dans son univers.

Transport à dos d’Hommes[1] — la première vidéo qu’on voit en pénétrant dans l’espace d’exposition — est consacrée à un campement tzigane d’Ivry, en proche banlieue parisienne. Ça commence comme quelque chose d’un peu caricatural, on voit une série de cadenas coupés que des enfants trient probablement en vue d’une revente au poids. Puis assez rapidement tout bascule dans une autre dimension lorsqu’un personnage se met à monter une caravane qu’il transforme en studio de répétition de musique. Pas n’importe quelle musique, celle que ses amis vont jouer dans le métro. Alors l’impresario improvisé installe également un plan lumineux similaire à celui des stations de métro (un PILI) pour lancer la mélodie transformant les deux musiciens en Jukebox. Dehors, un jeune homme suit la mélodie en exécutant une danse des plus virtuose. Plus tard, le générique de fin égraine les noms des « acteurs » tatoués sur les bras des habitants du camp, dernières images qui font prendre conscience d’une inscription corporelle d’une filiation —belle et entière — que ne pourra jamais circonscrire quelque papier administratif que ce soit.

Bertille Bak, Transports à dos d’Hommes, 2012.

La seconde vidéo, Ô quatrième[2], relate la vie dans une communauté religieuse (Les Filles de la Charité) de la rue du Bac à Paris.  On voit les sœurs se livrer à leurs activités quotidiennes comme la confection de petites poupées ou de coussins de prière.  Bertille Bak se prend d’amitié avec une des sœurs particulièrement âgée. Et c’est avec son regard malicieux que la sœur explique une des règle un peu absurde de la communauté : plus on vieilli, plus on monte dans les étages du bâtiment, le quatrième et dernier étage étant l’ultime étape… A un moment de la vidéo, la caméra monte dans les étages par l’ascenseur et crée une sorte de suspens incroyable à chaque ouverture de porte. En partant du premier étage vers le quatrième, c’est un peu comme si on voyait la vie passer devant soit de manière vertigineuse. On sait ce qu’on va trouver au quatrième étage, et on le redoute, d’ailleurs même les sœurs semblent le redouter.

Bertille Bak, O quatrième, 2012.

C’est avec ce genre de petites choses que Bertille Bak parvient à transporter le spectateur dans son univers qu’on qualifierait d’humaniste, si ce terme n’était pas tant galvaudé. C’est de générosité dont font preuve les vidéos de Bertille Bak, une générosité sans pathos, sans bons sentiments cosmétiques, mais presque avec magie. Car si à l’énoncé des thèmes de l’artiste (les communautés, les Roms, etc.) on pourrait penser à l’univers foutraque d’Emir Kusturica ou à la série documentaire Striptease, c’est finalement une sorte de réalisme magique à la Guillermo del Toro qui vient à l’esprit. Dans Le Labyrinthe de Pan ou L’Echine du Diable, Guillermo del Toro propose la vision d’un monde parallèle, digne d’un conte, pourtant inscrit dans la période trouble du franquisme en Espagne. C’est un peu cela que l’on retrouve chez Bertille Bak, de cette capacité à mettre un peu de côté le réel pour offrir une narration bis à un monde pas toujours accueillant et souvent incompréhensible.

En temps normal, les « installations » et autres dispositifs qui ponctuent l’espace d’exposition m’auraient énervé tant ils semblent lourds et redondants (le fauteuil mécanique des soeurs, les plans de métro, etc. seules les boites contenant les objets des soeurs sont du niveau des vidéos). Idem pour le catalogue d’exposition qui ressemble  à un tableau d’excellence ou à une distribution de bons points (textes à peine déguisés de félicitation de membres éminents du monde de l’art), incantations performatives dont l’œuvre de Bertille Bak n’a heureusement pas besoin. Le plaisir de spectateur opère avant tout par les vidéos et ces « objets » — sommes toutes périphériques — s’oublient dans le souvenir d’une des rares œuvres qui m’a sincèrement ému ces dernières années.

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Bertille Bak, « Circuits », musée d’Art moderne de la Ville de Paris juqu’au 16 décembre 2012. www.mam.paris.fr


[1] Bertille Bak, Transport  à dos d’Hommes, 2012. Vidéo couleur, 15min.

[2] Bertille Bak, Ô quatrième, 2012. Vidéo couleur, 17 min.