Marcel est dubitatif...

En écho à la grande rétrospective inaugurale de 1977 commissariée par Ulf Linde et Jean Clair, le Centre Pompidou consacre une nouvelle exposition à Marcel Duchamp. Signe des temps, elle est sous-titrée « la peinture même »…

L’exposition commence plutôt bien avec une salle consacrée la recontextualistaion des œuvres de l’inventeur du ready-made. On apprend que les œuvres de la période dada (mouvement dont d’ailleurs il est peu question dans l’exposition !) de Duchamp procèdent d’un air du temps : les pastiches de la Joconde ou des films d’effeuillages de mariées étaient très en vogue à l’époque. Les documents des premières salles permettent de comprendre visuellement cette mise en perspective. Les œuvres et les dessins de presse de Marcel sont associés à ceux de ses frères permettant alors de prendre le pouls de l’ambiance dans laquelle baignait le jeune artiste. Cette mise en relation avec d’autres œuvres d’artistes de son temps sera d’ailleurs un fil rouge de cette exposition…

Alfonse Allais, Album Primo avrilesque
Alfonse Allais, Album Primo avrilesque
"Le Ministère des Jocondes", Fantasio n°179, janvier 1914
« Le Ministère des Jocondes », Fantasio n°179, janvier 1914
Alexandre Honoré Ernest Coquelin, Le Rire, 1887.
Alexandre Honoré Ernest Coquelin, Le Rire, 1887.

 

S’en suivent des salles révélant les tâtonnements de Duchamp qui cherche visiblement « un style » pictural au beau milieu du foisonnement des tendances de l’époque. Après un rapide saut autour de l’iconographie scientifique de l’artiste (objets scientifiques, chronophotographies, etc.), on débouche sur une copie du Grand Verre présenté comme la pièce maîtresse de l’exposition.

Inutile de faire durer le suspens, « Marcel Duchamp, la peinture même  », est ratée. Si on est prêt à passer les imperfections techniques (notamment en ce qui concerne les films dont la compression numérique est bâclée, ce qui commence à être assez récurrent au centre Pompidou !), les immondes posters muraux censés plonger le spectateur dans l’univers de l’artiste (en prenant au passage un peu les visiteurs pour des abrutis), ou une scénographie étriquée et peu ergonomique (vitrines trop basses, peu espacées, etc.), ce qui parait le plus agaçant est le parti pris de l’exposition. Les commissaires ont décidé de montrer que Duchamp — celui qui « a tué la peinture » selon la brochure — est en fait un peintre. Et comme cette hypothèse est rigolote, mais difficilement démontrable, l’exposition déploie de grossiers trésors de rhétorique afin d’arriver à leurs prétendues conclusions. Alors on tourne autour du pot, on fait avec les trous dans les collections françaises et les refus de prêts de l’étranger, on bricole des concordances avec d’autres artistes… pour déboucher sur pas grand-chose. Même si la perspective ouverte dans les premières salles autour d’une histoire culturelle des œuvres de l’artiste était excitante, le soufflé retombe rapidement devant l’ennui suscité par le reste de la présentation. Là où on s’attendait à de nouvelles hypothèses sur l’activité de peintre de Duchamp (ce qui aurait été passionnant !), on ne trouve que peu d’œuvres dont la plupart sont anecdotiques. Probablement que la nullité de « Duchamp la peinture même » tient au fait que les commissaires partent d’une hypothèse moderniste (« Duchamp a tué la peinture ») alors que Duchamp n’a probablement jamais voulu tuer quoi que ce soit, mais a simplement proposé autre chose ; une autre approche de l’art, pour le coup en décalage avec les paradigmes modernistes de son temps.

vue d'exposition, poster mural
vue d’exposition (poster mural)
vue de l'exposition (poster mural)
vue de l’exposition (poster mural)
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vue de l’exposition, vitrines des notes de Duchamp.