Saint Jacques (vitrail)
Saint Jacques (vitrail), dernier quart du 15e siècle, Cologne

 

Pourquoi parler d’une exposition historique consacrée au voyage au Moyen-âge alors que ce blog est consacré à l’art contemporain, que je ne sais quasiment rien de cette période et que je déteste l’idée même de voyager ?

La raison de ma visite à Voyager au Moyen-âge est ma curiosité pour un objet en particulier : le Codex Amiatinus, connu comme étant le premier exemplaire manuscrit d’une bible en latin. Datant de la première moitié du 8e siècle, le Codex Amiatinus fut commandé par Ceolfrid (abbé de Wearmouth-Jarrow, Angleterre) pour l’offrir au Pape Grégoire II. Cette bible n’atteindra jamais Rome car l’abbé mourut en chemin. Pour des raisons assez obscures, le livre voyage dans toute l’Europe de l’époque sans jamais parvenir au Pape, ce qui est une histoire assez invraisemblable et fascinante. Imaginer qu’une Bible — c’est-à-dire un livre adressé avec un message divin, etc. — n’atteigne jamais le Pape (représentant présumé de l’inspirateur du dit récit !) réjouit assez l’athée et l’amateur d’absurde que je suis !

Codec Amiatinus
Codec Amiatinus, 8e siècle.
Codex Amiatinus 8e siecle
Codex Amiatinus 8e siecle
Codex Amiatinus 8e siecle
Codex Amiatinus 8e siecle

Le Codex Aiatinus est un énorme grimoire à la couverture peu spectaculaire de couleur crème se refermant par deux épaisses sangles. Les pages sont en vélin (le cartel affirme qu’il a fallu 2000 veaux pour constituer cet opus !) et richement enluminées. La seule chose vraiment spectaculaire est la taille du volume qui figure un énorme bloc de cuir, le Musée de Cluny n’ayant pas jugé nécessaire de laisser à disposition des visiteurs des fac-similés des pages intérieures pour qu’on puisse avoir une idée de l’organisation du codex… Donc, petite déception quant à cet objet et sa présentation — à laquelle il faut ajouter une scénographie un peu biscornue et inutilement littérale —, déception qui ne durera pas tant le reste de l’exposition montre des choses étonnantes…

Si je savais qu’il existait des guides de voyage au milieu de la Renaissance proposant des parcours autour des chefs-d’œuvre de l’Italie, j’ignorais qu’il existait le même genre d’ouvrage pour les pèlerins en terre sainte dès le 13e siècle. Ces petits ouvrages ressemblent un peu aux Lonely Planet ou Routard que nous connaissons[1] : informations sur les religions locales, les langues, les peuples, généalogies, sites incontournables, etc. Ils sont aussi parfois accompagnés de planches décrivant la faune plus ou moins fantasmée de ces contrées lointaines. Ces guides côtoient les récits de voyage dont le plus emblématique reste celui de Marco Polo (1254-1324) dont l’exemplaire de Devisement du Monde ayant appartenu au duc Jean de Berry est exposé à Cluny.

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Le Voyage d’Outre-Mer, vue de Jérusalem, c.1455.

 

animaux fantastiques moyen age
Planche des animaux exotiques et fabuleux: licorne, dromadaire, salamandre, girafe, homme sauvage (« dont on n’est pas sur du nom » indique la légende), crocodile et chèvres. Bernhard von Breydenbach, Erhard Reuwich, Opusculum sanctorum peregrinationum ad spulcrum Christi venerandum, Mayence, 1486.
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Guide de Pèlerin en terre sainte, Jérusalem, couvent du mont Sion, 1471.

 

Au delà des cartes et des livres, Voyager au Moyen-âge présente une série d’objets de voyage dont certains sont très ingénieux comme des chandeliers gigognes, des boites à message, des cartes à jouer, etc. Le plus curieux reste probablement un reliquaire portatif de la Vrai Croix (avant 1040) où les morceaux de la croix du Christ sont soigneusement ordonnés au sein d’une petite boite relativement sobre. Ailleurs, ce qui frappe est l’incroyable richesse de l’iconographie de l’époque aussi bien concernant les notations topographiques des cartes, les illustrations des ouvrages que les décors ornant les objets usuels.

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reliquaire de la Vraie Croix, Catalogne, 1040.

 

Boites à
Boites à messager
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Panneau de Coffret: L’Ascension

 

Voyager au Moyen-âge offre un parcours passionnant qui interroge bien plus les contraintes liées au voyage que l’idée un peu idiote du dépaysement benêt tel que vanté par les tour operators du 21e siècle. Même si les conditions, les destinations et les finalités des voyages ont largement évolué, il existe finalement une filiation assez tendue entre le pèlerin cherchant à ne par trop s’encombrer tout en s’aménageant un certain confort et les parents actuels cherchant à faire entrer bagages, poussettes et autres doudous dans le coffre décidément trop exigu de la C3 familiale…

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Voyager au Moyen Age, Musée de Cluny, Paris, du 22 octobre 2014 au 23 février 2015.

Commissariat : Michel Huynh, conservateur au Musée de Cluny – musée national du Moyen Âge ; Benedetta Chiesi, collaborateur scientifique au musée du Bargello à Florence ; Marc Sureda, conservateur au Musée épiscopal de Vic.

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[1] D’ailleurs, les commissaires de l’exposition ont composé une vitrine assez ironique avec des guides de pèlerinage contemporain ainsi que des médailles et des casques de motards (dont un se paye le luxe d’être siglé « Bayard »)…