
Certaines choses sont du registre de l’éphémère et c’est paradoxalement en cela que réside leur part de sublime. Deux pièces de Thomas Tronel-Gauthier présentées à la galerie 22,48m2 reflètent parfaitement cette sensation : la première, un tas d’éponges disparates (Récif d’éponges (capita vitum), 2010) et la seconde, une série de coquillages à la nacre gravée (les Oracles, 2012).
Récif d’éponges se compose d’un amoncellement d’éponges naturelles et industrielles enduites de porcelaine puis figées par leur cuisson. Dès lors, la matrice de l’œuvre, c’est-à-dire les éponges, disparaissent, dissoutes par la chaleur extrême du four pour ne laisser visible que leur fantôme. Le spectateur voit alors un tas d’éponges sans éponge, une trace, une peau désincarnée au sens fort du terme, une mue. Ici, l’éponge organique rejoint l’éponge industrielle, dérivé pétrolifère composé d’éponges décomposées il y a plusieurs milliers d’années. C’est une forme de mémoire de la terre, ou plus exactement des fonds océaniques voire des sous-sols à laquelle Thomas Tronel-Gauthier donne accès. La destinée de l’organique s’y cristallise dans une fossilisation accélérée, un devenir muséal particulièrement mélancolique, un tas aux bords tranchants que la pure blancheur de la porcelaine vient à peine contrebalancer.

La série de coquillages gravés Les Oracles aurait rapidement pu passer pour une pièce un peu lourde, didactique, entre dénonciation des essais nucléaire à Mururoa et souvenir touristique des îles. La force de cette pièce est justement de parvenir à aménager la bonne distance, distance formelle grâce à un travail tout en finesse servi par un soclage élégant, distance discursive en se contentant d’esquisser un discours. Lorsqu’on s’approche des Oracles, on distingue un nuage nucléaire finement gravé — dessiné pourrait-on dire — dans la nacre du coquillage. Ces coquillages proviennent de la région de Mururoa où la France avait décidé de reprendre ses essais nucléaires en 1995. Cette activité dénoncée par tous les défenseurs de l’environnement, à bien évidemment eut des conséquences calamiteuses sur les fonds marins ainsi que sur la santé des habitants des iles environnantes. Lorsqu’il inscrit son champignon nucléaire dans la nacre des coquillages, c’est bien entendu à cela que fait référence Thomas Tronel-Gauthier, comme si l’action humaine était gravée à même la chaire de la faune locale — définitivement — dans la gracieuse fragilité effrontée de la nacre. Mais ces nuages séduisent, attirent ; les teintes nées de la soustraction des strates du coquillage révèlent des irisations hypnotiques, et pourtant ça reste des champignons nucléaires… Une fois encore, une certaine mélancolie émerge en faisant renaitre les récits eschatologiques militaro-nucléaires transitant cette fois par le présage offert par l’intérieur soyeux mais funeste de l’oracle du coquillage.


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