« Miroir, ô mon miroir » est la fameuse phrase prononcée par la méchante reine du conte Blanche Neige. La réponse est sans appel : « Blanche neige est la plus belle, ma reine ». Et comme dans les contes de fées les femmes n’ont pour unique obsession qu’être la plus belle, la méchante reine ne le supporte pas. La réponse du miroir enchanté — objet magique qui ne sait mentir — aura de funestes conséquences pour la douce et naïve fille des bois (en fait pas si funeste que cela, car ce sera pour la gourdasse des bosquets l’occasion de rencontrer LE prince charmant et de plaquer son job de bonniche à nains pour celui de princesse avec robe et carrosse qui va bien… d’ici à y voir une parabole de l’art contemporain !).
Évidemment, la vie dans les bois, il faut s’appeler Thoreau pour trouver ça fun. Car dans les faits, on est entre mecs, on coupe du bois, on picole (un peu), on bricole, on essaye de faire fuir le loup (Bertille Bak). Et ces types, ce n’est pas du genre à chanter « Héhi Hého on rentre du boulot ». Leur truc, c’est plutôt les mélopées gutturales rendues possibles pour une absorption assidue d’alcool. Les hommes des bois de la forêt alsacienne, pour le coup, c’est comme les nains sans blanche neige. Au fait, ça se situe où déjà l’Alsace sur le Disque Monde[1] ?



Entre temps, le miroir s’est fait la malle, occupé qu’est ce dernier à se détourner de notre regard (Thomas Cimolaï). Il a bien compris la leçon. Le premier pécore qui va se retrouver face à lui va encore lui poser des questions idiotes concernant la plus belle file du royaume ou les perspectives phénoménologico-cognitive de l’œuvre d’art à l’ère des flux financiers globalisés. Et le miroir, il ne veut vraiment plus se mouiller (« les Reines, tu leur donnes ça, elles prennent ça ! » avait-il pris l’habitude de dire à ses potes du « café des Sorts »).

Pendant ce temps, le Petit Poucet est parti aux brimbelles. Histoire de gagner du temps tout en restant tout à fait hypster, il a revêtu ses Converses tout-terrain (Chloé Dugit-Gros). Ces souliers, c’est vraiment le top avec leur semelle en véritable pneu éco-responsable et tout et tout ; c’est bien simple, chez GQ (Gandalf Quaterly), ils ne jurent que par ça !

Sur son trajet, le Petit Poucet croise des bonshommes bizarres qui se mettent les mains devant les yeux et ça fait de la lumière (Clément Cogitore). « Pratique ! » se dit-il « si j’avais ça, je pourrai lire CQ au lit, ça fera un peu moins chier les frangins lorsque je laisse la lumière allumée.».
Petit Poucet avait déjà remarqué ces arbres morts, mais plus il y pense et plus ces trognes lui rappellent des monstres grimaçants (Chloé Poizat). Il faut dire qu’il fait particulièrement sombre dans ce bois, ce qui n’arrange pas les chakras de Petit Poucet. Il flippe un peu : « On voit de ces trucs dans les forêts enchantées de nos jours, tout de même ! ».

Heureusement, quelqu’un a fait du feu, pas un très grand feu, mais un feu tout de même (Chloé Dugit-Gros). Et puis il est étrange ce feu, pas comme les autres. Les flammes changent de couleur : du bleu, du vert, de l’orange, du jaune. Petit Poucet, qui en a vu de biens belles depuis ce matin, reste tout de même émerveillé par ce spectacle. « Mais bon, se ressaisit-il, c’est pas ça qui remplira mon panier à brimbelles ».


« Impossible de se souvenir de l’emplacement de ce coin à brimbelles. Pourtant l’autre jour avec les frangins, j’ai bien noté les coordonnées sur le GPS (Guidage Par Sorcier). Et bien sûr, plus de batteries ! ». Petit Poucet a beau chercher, il ne retrouve pas le chemin perdu qu’il est dans une réflexion introspective : il se dit que, décidément, il a de gros problèmes d’orientations dans l’espace. Il faudrait qu’il en parle à son psy, ça doit avoir un rapport avec sa libido en berne ou alors avec ses rapports avec ses parents. En plus du fait que ses parents jouent à les perdre dans la forêt, lui et ses frères. Mais Petit Poucet se ravise et se dit que ce truc des parents, ça doit être une nouvelle pédagogie alternative dont maman est friande. Oui, ça doit être ça, sinon comment expliquer que…). Soudain, comme sorti de nulle part, il croise un étrange défilé. Des blanches neiges par centaines ; des belles, des moches, des zombiesques, des prudes, des sexy…(ahhh les blanches neiges sexy !) « Probablement un concours de sosies », se dit-il avant de passer son chemin (Caroline Delieutraz).


« Le voila mon coin à brimbelles ! », la fameuse petite clairière. Mais elle n’est pas exactement comme la dernière fois : un étrange objet trône au centre (Emilie Brout et Maxime Marion). Petit Poucet s’approche prudemment, il est habitué aux entourloupes magiques des forêts enchantées. Ça brille, ça brille vraiment beaucoup. Petit Poucet s’approche encore, il trépigne devant ce trésor merveilleux, il estime déjà les brouettes remplies d’or que cela représente. « Plus besoin d’aller aux brimbelles » pense-t-il. Mais qu’est-ce donc au centre, un monolithe étrange, lumineux, rutilant, séduisant. Il s’approche, il s’approche encore, il s’approche, il s’approche,… »

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« Miroir ô mon Miroir », Pavillon Carré Baudoin, 3 mars- 23 mai 2015.
Exposition commissariée par L’Extension (Rosario Catalbiano, Nathalie Desmet et Thomas Fort).
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[1] Clin d’œil en forme d’hommage à Terry Pratchet récemment disparu.