
Il est fort probable que la fin du monde ait déjà eu lieu et que nous n’ayons rien remarqué. Nous étions distraits, ailleurs, anesthésiés, engourdis ou simplement pas concernés ; sans opinion sur notre avenir. Et nous avions surement raison…
Rémission s’ouvre sur une structure monumentale recouverte d’écailles grises et hérissées de pics roses aux pointes éclatées. L’arrière de ce qui ressemble à une locomotive laisse apparaitre une rosace semblable à celles de la cathédrale de Sens. Ici, une étrange scène : dans une alcôve tapissée d’un rose « sex shop », un mannequin est allongé, les pieds maintenus en l’air sur une table médicale. Autour de lui, divers éléments renvoient à un univers clinique désuet, faisant ressembler les lieux à une salle de torture. Non loin du corps, des maquettes narrant des affrontements entre les stars de l’art contemporain trônent dans une vitrine. Soudain, une fumée blanche envahit l’espace d’exposition : tout devient brumeux. On apprend par la suite que cette fumée signale la présence de l’artiste dans le musée, pied-de-nez à la coutume vaticane voulant que l’élection d’un nouveau pape soit annoncée par ce type de dispositif. La fumée blanche rappelle aussi que Sens fut un haut lieu de l’Église et qu’en ce palais synodal, se sont jadis tenus des conclaves importants de la chrétienté. Alors, après la fin du monde, les artistes seraient-ils devenus autant de petits Papes mégalomanes ?

Mais probablement que cette fin du monde n’est rien d’autre que la fin de l’histoire diagnostiquée dans les années 1980, puis moquée par la suite. La seconde fin de l’histoire que met en scène Arnaud Cohen est une fin sans panache, une eschatologie sénile, une sorte de « modernité faible » pour reprendre les termes de Gianni Vattimo. Pas d’Armageddon spectaculaire, pas de jugement dernier, seulement un train qui file vers le pire. Sans conviction, ce spectacle est mollement scruté par des personnages hybrides constitués de corps de mannequins de vitrine surmontés de copies de têtes prélevés dans la collection de sculptures du musée. On pense alors aux univers poisseux de Serge Brussolo où une société post-nucléaire sans repère se nourrit de l’énergie des œuvres d’art[1]. Ce bestiaire à la Jérôme Bosch brille par son indifférence : le monde peut bien disparaître, eux resteront comme protégés par leur dégénérescence, leur indépassable devenir gargouille.


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Rémission,+ Retrospective, exposition d’Arnaud Cohen, Musée de Sens (commissaire: Sylvie Tersen), 14 juin – 20 septembre 2015.
d’autres articles d’osskoor sur Arnaud Cohen ici et là
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[1] Serge Brussolo, Procédure d’évacuation immédiate des musées fantômes, Denoel, 1987.
Je ne me sens pas le moins du monde une âme d’artiste face, par exemple, à l’œuvre magnifique d’un Van Gogh, c’est certain… Mais je pense, face à ce que vous m’excuserez de ne pas appeler une œuvre concernant les absurdités d’Arnaud Cohen, pouvoir l’être, artiste ! Eh oui… car s’il suffit, pour être reconnu comme artiste, d’exposer sur le mur d’un musée son tapis de bidet ou une bouteille de coca, alors je suis une artiste car, moi aussi, miracle, j’ai un vieux tapis de bain que je peux faire scotcher sur un mur de musée ! Et pour ce qui est de la bouteille, pour faire montre d’originalité, plutôt qu’une bouteille de coca, je vais aller jusqu’à oser une bouteille de champagne et, tiens, soyons fous, je vais demander à ce qu’elle soit posée juste devant la Joconde ! Ainsi, on ne verra plus la Joconde, mais seulement ma magnifique bouteille de champagne ! Génial, non ? Mais zut,, revenons à la réalité… il y a un petit bémol : je n’ai pas l’ombre du moindre début de commencement de copinage prêt à s’extasier devant la nullité de mon œuvre et, surtout, prêt à me faire ouvrir les portes du sérail afin de disséminer mes horribles soit-disant « œuvres artistiques » au milieu de véritables œuvres artistiques, par exemple comme au musée de Sens !! Voilà, c’est dit ! Merci de m’avoir permis de le faire !
Marie, comme vous l’avez probablement lu dans mon billet, je ne parle pas de l’exposition rétrospective disséminée dans les collections du musée mais seulement de la partie inédite de l’exposition. La raison en est que je me méfie beaucoup des expositions qui mélangent art contemporain et « patrimoine » ( pour des raisons que j’explique ici : https://osskoor.com/2015/06/29/pourquoi-tout-ce-qui-est-expose-a-versailles-devient-il-vulgaire/). Donc je ne comprend pas trés bien pourquoi vous me parlez des oeuivres de la partie dont je ne parle pas (à moins que vous n’avez pas vu l’exposition en question et que vous vous contentiez de répéter ce qu’écrivait la presse locale – visiblement téléguidé par certaines notables du coin – à son sujet). Il est par ailleurs évident que je tiens Arnaud Cohen pour un des artistes français les plus intéressant de sa génération et l’exposition « rémission » comme une des meilleurs expositions de l’année.
Cela dit il faudrait que vous regardiez plus attentivement les collections du musée d’histoire de Sens pour vous rendre compte que ses collections ne comportent pas « uniquement » des œuvres d’art (je dirai même qu’elles y sont minoritaires) et que la plupart des pièces des collections sont des documents historiques dont la provenance s’étalent sur plusieurs siècles. Connaissant très bien le travail d’Arnaud Cohen, je pense qu’il a disposé ses œuvres au sein de la collection de manière à créer un dialogue, un commentaire, entre ces entités. Refuser cela reviendrait par exemple à ne pas trouver normal que les cartels des pièces médiévales soient rédigées en français sous prétexte qu’à l »époque les clercs écrivaient en latin.
Toujours sur cette idée de « regarder attentivement » (je pars du principe que vous avez vu l’expo et ne vous êtes pas contenté du fameux article dans le torchon local), vous avez probablement remarqué que les oeuvres d’Arnaud Cohen ne sont pas, par exemple, simplement des bouteilles de coca cola, mais des objets que tout le monde connait (des « icônes ») modifiés. Par exemple, il utilise la bouteille de coca à la fois comme icone du design globalisé et symbole d’un style de vie à l’américaine, mais il en change la matière et l’échelle. deux avions viennent se crasher sur ces bouteilles, donc la collision sémantique entre bouteille de coca et avion crée une vision métaphorique et critique de l’histoire récente. La plupart des oeuvres d’Arnaud Cohen fonctionnent de cette manière, elles demandent forcément un peu d’effort au public, mais avec une peu d’entrainement on y arrive. Et si vous arrivez à en faire autant, je serai ravi de voir vos oeuvres je pourrai ainsi pratiquer le « copinage » avec vous aussi.
sans donner dans la critique sans nuance et sans mise en perspective de l’art contemporain, force est de constater qu’il ne suffit pas d’un avis fût il autorisé décrétant qu’Arnaud Cohen est un grand artiste ou simplement « intéressant » pour se persuader de son génie nécessaire. Ce qui nous a été montré à Sens en un lieu que je connais bien pour y avoir pratiqué l’accompagnement éducatif fort longtemps, c’est un « dialogue » raté avec de lourdes métaphores: la bouteille de Coca pour évoquer l’empire américain au beau milieu de l’empire romain, la bouteille de coca attaquée par les avions…..dans la chapelle du Trésor, histoire de rappeler, semble t il , pour trouver une caution religieuse, le martyre de St Sébastien. Mais encore, le Gaulois du beffroi devenu transgenre…..pour dénoncer un héroïsme trop viril? etc… En guise de dialogue, il s’agit plutôt d’un monologue souvent fort éloigné du lieu censé impulsé un dialogue. Mais trop béotien sans doute (malgré une longue fréquentation des musées, expos, galeries), je ne fais pas assez « d’effort » pour comprendre la « vision métaphorique ».
Tout le monde peut parler et débattre d’art contemporain du moment qu’il se donne la peine de regarder ce dont il parle, ce que vous faites, donc votre avis vaut le mien (contrairement au premier commentaire qui me paraissait répondre à des sollicitations autres…). Comme je l’ai écris, je ne suis pas convaincus en général des accrochages d’art contemporain dans des collections historiques ayant déjà une cohérence propre et cela même lorsque j’apprécie l’oeuvre de l’artiste (comme c’est le cas pour Arnaud Cohen). Je continue de penser que l’installation dans le Synodial est une des meilleurs choses vue cette années. Quand au gaulois, j’y vois davantage un être hybride renvoyant à la fois aux bestiaires du moyen age et aux fictions postapocalyptiques contemporaines, c’est ce pouvoir de trouble et d’évocation qui m’intéresse dans cette pièce bien plus que l’aspect « transgenre » que je trouve un peu anecdotique.