Arnaud Cohen, rémission (vue d'exposition par Damien Brachet)
Arnaud Cohen, rémission (vue d’exposition par Damien Brachet)

Il est fort probable que la fin du monde ait déjà eu lieu et que nous n’ayons rien remarqué. Nous étions distraits, ailleurs, anesthésiés, engourdis ou simplement pas concernés ; sans opinion sur notre avenir. Et nous avions surement raison…

Rémission s’ouvre sur une structure monumentale recouverte d’écailles grises et hérissées de pics roses aux pointes éclatées. L’arrière de ce qui ressemble à une locomotive laisse apparaitre une rosace semblable à celles de la cathédrale de Sens. Ici, une étrange scène : dans une alcôve tapissée d’un rose « sex shop », un mannequin est allongé, les pieds maintenus en l’air sur une table médicale. Autour de lui, divers éléments renvoient à un univers clinique désuet, faisant ressembler les lieux à une salle de torture. Non loin du corps, des maquettes narrant des affrontements entre les stars de l’art contemporain trônent dans une vitrine. Soudain, une fumée blanche envahit l’espace d’exposition : tout devient brumeux. On apprend par la suite que cette fumée signale la présence de l’artiste dans le musée, pied-de-nez à la coutume vaticane voulant que l’élection d’un nouveau pape soit annoncée par ce type de dispositif. La fumée blanche rappelle aussi que Sens fut un haut lieu de l’Église et qu’en ce palais synodal, se sont jadis tenus des conclaves importants de la chrétienté. Alors, après la fin du monde, les artistes seraient-ils devenus autant de petits Papes mégalomanes ?

Arnaud Cohen, rémission (vue d'exposition), 2015.
Arnaud Cohen, rémission (vue d’exposition), 2015.

Mais probablement que cette fin du monde n’est rien d’autre que la fin de l’histoire diagnostiquée dans les années 1980, puis moquée par la suite. La seconde fin de l’histoire que met en scène Arnaud Cohen est une fin sans panache, une eschatologie sénile, une sorte de « modernité faible » pour reprendre les termes de Gianni Vattimo. Pas d’Armageddon spectaculaire, pas de jugement dernier, seulement un train qui file vers le pire. Sans conviction, ce spectacle est mollement scruté par des personnages hybrides constitués de corps de mannequins de vitrine surmontés de copies de têtes prélevés dans la collection de sculptures du musée. On pense alors aux univers poisseux de Serge Brussolo où une société post-nucléaire sans repère se nourrit de l’énergie des œuvres d’art[1]. Ce bestiaire à la Jérôme Bosch brille par son indifférence : le monde peut bien disparaître, eux resteront comme protégés par leur dégénérescence, leur indépassable devenir gargouille.

Arnaud Cohen, Marianne et Bacchus, 2015.
Arnaud Cohen, Marianne et Bacchus, 2015.
Arnaud Cohen, Gargouille Gauloise, 2015.
Arnaud Cohen, Gargouille Gauloise, 2015.

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Rémission,+ Retrospective, exposition d’Arnaud Cohen, Musée de Sens (commissaire: Sylvie Tersen), 14 juin – 20 septembre 2015.

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[1] Serge Brussolo, Procédure d’évacuation immédiate des musées fantômes, Denoel, 1987.