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Peter Saul, Mona Lisa Throws Up Macaroni, 1995.

Je n’ai pas trouvé d’autre mot, d’autre terme ou d’autre concept pour les désigner. Faute de mieux,  je les baptise « pic-dropping[1] », ces œuvres qui pratiquent la citation de manière stérile comme d’autres pratiquent le name-dropping.

Le principe est simple : on prend une œuvre d’art ancien piochée dans les bouquins de chez Taschen (on ne va tout de même pas se fouler à aller chercher des choses un peu rares !), puis on la réinterprète avec une technique actuelle ou vaguement singulière. Si ce principe a des vertus pédagogiques lorsqu’il s’agit d’un sujet proposé aux étudiants de première année d’école d’art (ça permet de passer du temps à regarder une œuvre ancienne, de s’interroger sur les médiums, sur la composition, etc.), il devient proprement pénible lorsqu’il se distille par chapelets entiers chez des artistes étant sortis de l’école depuis belle lurette. Et c’est ce qui est le cas dans nombre d’expositions actuelles.

La goute de collyre qui a fait débordé le vase est probablement l’exposition de Patrick Neu au Palais de Tokyo. Je sais, c’est un peu injuste, car Neu va prendre pour les autres alors que ses œuvres ont d’indéniables qualités plastiques, mais chacun pourra adapter mon diagnostique aux expositions parcourues.

L’exposition consacrée à Patrick Neu propose des séries d’œuvres dont certaines consistent à dessiner dans la fumée préalablement déposée à l’intérieure de verres en cristal ou d’autres surfaces vitrées. Ses dessins sont certes très fins, mais ils se contentent de reproduire des chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art. Le problème avec ce type d’œuvre virtuose est qu’on a l’impression que l’artiste a développé une technique très précise, mais qu’il ne sait pas trop à quoi l’appliquer ; alors, il convoque les maitres de la peinture ancienne[2]. C’est vrai que la stratégie n’est pas idiote, car convoquer des images (on est d’accord, on ne parle plus « d’œuvres », mais « d’images »…) que tout le monde connait facilite le discours des critiques d’art. Une référence à Durer et le texte s’écrit tout seul ! En plus, ça fait sérieux, un art qui célèbre les maitres du passé, c’est rassurant pour tout le monde, c’est un « petit morceau d’histoire » comme diraient Stéphane Bern ou Loran Deutsh,… et puis la technique, c’est pareil, c’est le truc artisanal qui ne ment pas, qui sent bon la sueur d’artiste qui bosse pour de vrai, c’est un peu la caution Journal de 13h de TF1. Le problème, c’est que ça ne dit rien ni de l’art, ni du monde dans lequel il s’inscrit (à moins de considérer que cette raréfaction des formes soit une sorte de critique de l’originalité,  mais j’en doute[3]…). Ces reproductions pourraient tout aussi bien être imprimées sur des t-shirts ou des mugs que ça n’en dirait pas plus.

Évidemment, la génération actuelle d’artiste n’est pas la première à réinterpréter le patrimoine (dans une émission de coaching culinaire on dirait « revisiter » comme dans « Chantal a revisité le tiramisu en remplaçant les boudoirs par des courgettes, le café par du sirop d’églantine et le mascarpone par du vieux-lille »), mais il faut avouer que bien souvent on se tourne vers ces processus lorsqu’on n’a plus grand-chose à dire. C’est par exemple assez flagrant dans les dernières peintures de Markus Lüpertz exposées au MAMVP voisin. Lorsque Lüpertz sèche, il nous fait un petit coup de Goya, de Poussin ou de mythologie grecque, ça fait toujours la blague…

Je ne suis pas en train de dire que l’artiste doit être autiste, inculte ou imperméable aux références qui constituent l’histoire de son champ, mais que lorsque des références sont aussi ostensiblement convoquées, elles doivent être pensées, questionnées dans une iconographie (voire ou une iconophilie) recontextualisée. Un pic-dropping à la même valeur qu’un name-dropping : au mieux, il signe la suffisance du locuteur, au pire, il instaure une domination qu’on qualifiait jadis de « terrorisme intellectuel ». Dans ce registre, le respect dévot — la crétine béatitude — que montrent trop d’œuvres actuelles est mortifère et désespérant. Ces œuvres entretiennent la raréfaction du vocabulaire iconographique de notre époque – elle entérinent un rétrécissement orwelien de l’imaginaire. Elles confortent notre nausée légitime née du fait d’avoir l’impression de voir toujours plus d’images (la quantité), mais qui se ressemblent toujours plus, comme si notre rétine restait bloquée sur les trois premières pages de Google image

Rawan Atkinson (Mr. Bean) déguisé en Joconde.
Rawan Atkinson (Mr. Bean) déguisé en Joconde.

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[1] « pic » est le diminutif du mot anglais « picture » ayant pour traduction française « image ».

[2] ça me rappelle une anecdote assez drôle quand il y a un ou deux ans tout le monde s’est mis à construire des imprimantes 3D pour se rendre compte qu’ils n’avaient pas d’idée de « truc » à imprimer…

[3] C’était en partie le cas de la mouvance appropriationniste, simulationnsites ou citationniste des années 1980 (Sherrie Levine, Cindy Sherman, etc.) qui proposait une critique de l’originalité et une mise en relief du contexte d’émission des images en reproduisant à l’identique des œuvres connues de tous. Ces artistes ont notamment largement été défendues par le critique d’art Arthur Danto.