
Ça commence avec quelques autoportraits des années 1960, puis quelques portraits de stars passées taper la bise à la Factory (Faithfull, Dylan, Duchamp, Lou Reed), puis une salle de projection de quelques portraits filmés, puis quelques vaches et quelques chaises électriques, puis quelques fleurs et quelques Jackie Kennedy… L’énumération pourrait continuer tant l’exposition Warhol est en fait une collection d’échantillons organisés sous forme de pseudo period rooms[1] chichement agencées. Et autant dire que cette présentation ne rend pas vraiment hommage aux œuvres de Warhol. D’ailleurs, les commissaires sont eux-mêmes tellement peu convaincus qu’ils se sentent obligés — par exemple — d’accompagner la série vaches/chaises électriques d’un imposant cartel stipulant qu’il s’agit d’une reconstitution de la présentation lors de la rétrospective au Whitney Museum de 1971. Le problème c’est qu’on a vraiment l’impression de se retrouver devant une boite de cassoulet avec une image alléchante d’haricots, de lards et de saucisses bien dodues qu’on essaierait de comparer à la flaque informe et fatiguée qui sort de la boite, avant de se rendre compte qu’une mention accompagnait la photo sur l’emballage : « suggestion de présentation »…
L’« effet cassoulet », nous en avions eut un avant gout dès la deuxième salle, celle des projections des portraits filmés. La projection fonctionne comme une sorte de all-over : chaque mur — chaque cimaise — a son portrait. Mais ce n’est pas vraiment dans ce dispositif que réside l’aspect period room (je ne me souviens pas que Warhol ait présenté cette série de la sorte dans les années soixante). Au milieu de ces projections trône un socle blanc au sommet duquel est placé un authentique projecteur de film qu’on imagine d’époque. Oui, vous ne rêvez pas ! un vrai projecteur, avec du vrai film, avec de la vraie bobine qui fait « tshfouk tschfouk » quand elle tourne… Mais fidèle à l’« effet cassoulet », pour la dizaine d’autres films présentés dans la même salle, le MAMVP opte pour un transfert numérique. Que comprendre de cette salle ? En soit, le transfert numérique des œuvres n’est pas un scandale dès lors qu’il est réalisé avec soin et que les appareils de projections sont suffisamment performants pour évitées les scories rappelant qu’il s’agit de numérique, mais comment comprendre la juxtaposition des deux dans une même salle surencombré de projections. Le « tshfouk tschfouk » bien sur ! Ce fameux petit bruit vintage que n’ont pas les vidéo projecteurs. Et ce « tshfouk tschfouk », ça fait « sixties », ça fait « cinéma », ça fait Warhol, ça montre « qu’avant » c’est comme ça qu’on voyait des films. Mais comme le film c’est tout de même pénible à entretenir, alors on met le reste en numérique (ici on serait plutôt dans l’effet « je vous ai apporté des bonbons… »).
La salle censée reconstituer la Factory est du même tonneau. Ici, des ballons en aluminium flottent au plafond, d’autres sont au sol faisant la joie des enfants qui s’empressent des les saisir et de jouer avec. Les murs sont recouverts d’une peinture vaguement métallisée comme pour faire référence aux feuilles d’aluminium qui recouvraient certaines salles de la Factory de Warhol. Mais voilà, une fois de plus on n’a pas mis de véritables feuilles d’aluminium mais une peintre en reprenant vaguement la teinte. Les murs n’ont pas du tout le même effet de brillance et de brouillage de l’espace qu’offriraient des feuilles d’aluminium avec leurs imperfections, leurs plis, tels que — pour le coup — les images d’époque les décrivent. Pourquoi, dès lors qu’on s’engage dans une tentative de reconstitution, décide-t-on de saloper le travail avec tant d’approximations ? Ah oui, j’oubliais, l’« effet cassoulet ».

L’« effet cassoulet » est porté à son paroxysme dans le couloir consacré au Velvet Underground. Des reproductions de photos, de posters, de flyers et de textes sont collées à même le mur. Toute la subtilité de cette salle sans intérêt réside dans le collage sagement de travers des reproductions. Ce type d’« accrochement[2] » pourrait paraître un peu grotesque dans un musée comme le MAMVP. J’imagine qu’il est là pour parler à l’ado (qu’on présume un peu débile) qui — visitant l’expo — pourra ainsi faire le lien entre le Velvet et les stars dont il a collé les posters dans sa chambre ; posters qu’il a — bien entendu —punaisés sagement de travers, manière pour lui de dire « fuck » à la société et aux parents qui veulent toujours lui faire ranger sa chambre.

Mais l’exposition n’est pas totalement ratée, elle est en partie sauvée par la présentation de la série des 102 toiles Shadows (1978-1979). C’est dans la salle finale qu’est exposée cette longue variation chromatique qui parvient à prendre toute sa dimension sur le mur incurvé, signature du bâtiment art déco du MAMVP. Même si la continuité voulue par Warhol n’est pas totalement respectée — une porte ici, un cartel là, viennent rompre la lecture — ne boudons pas notre plaisir : les dimensions du bâtiment permettent une immersion du spectateur dans la pièce dont la rugosité a fait fuir les spectateurs. On peut aisément se retrouver quasiment seul dans cet espace propice au choc esthétique. Mais on comprend mal le tour joué par le MAMVP qui durant toute la première partie de l’exposition semble s’excuser d’exposer une pièce aussi exigeante que Shadows. Car il semble que prendre le spectateur pour un idiot soit la tendance des grandes expositions actuelle tant la radicalité et la cohérence auraient voulu que seul Shadows soit exposée sans tout le bavardage stérile qui la précède.
Cette épiphanie un peut longue à éclore est hélas gâchée dès qu’on sort de l’exposition. Dans le hall, on se trouve nez-à-nez avec une cabine de photomaton proposant au visiteur de tirer son portrait « gratuitement » façon Warhol. Bien vite, on se rend compte que le « gratuitement » coute 2 euros et que le « façon Warhol » n’est qu’un grossier filtre photoshop apposé à votre portrait, comme si on pouvait résumer l’oeuvre de Warhol à une astuce plastique… « effet cassoulet » vous dis-je !

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[1] Une period room (qu’on pourrait traduire par « salle d’époque ») est un mode d’exposition où les œuvres sont présentées au sein de leur contexte original de présentation reconstitué (meubles d’époque, papier peint, bibelots, etc.).
[2] Judicieux terme inventé par mon ami Emmanuel Lalande pour désigner les accrochages ratés des étudiants en école d’art.
Merci pour cette critique tellement bien écrite et pleine d’humour! Du coup, ça crispe un peu l’amateur de la langue de Molière de trébucher sur une faute ortho (coquilles sans doute). Rien de bien grave mais… « ….quelques fleures et quelques Jackie Kennedy…..la dizaine d’autres filmes présentés ….posters qu’il a — bien entendu —punaisé… » – Amicalement, CC
merci Carole pour vous corrections (je fais souvent des coquilles et c’est bien de me les signaler).
My pleasure! Et vous pareil sur mes billets (https://carolecarmen.wordpress.com/) @m CC