
Belle initiative de la Maison Rouge d’organiser une exposition sur la contre-culture en France dans la période 1969-1989, surtout dans une période particulièrement réactionnaire où il est de bon ton de fustiger les acquis de l’après 1968 (contraception, liberté sexuelle, pédagogies alternatives, abolition de la peine de mort, expérimentations artistiques, etc.). Et le fait que l’exposition soit co-commissarié par Guillaume Désanges laissait présager l’affirmation d’un point de vue singulier comme c’est souvent le cas dans les expositions qu’il organise. Si l’on en croit le texte d’introduction des deux commissaires (Guillaume Désanges et François Piron), L’Esprit français. Contre-cultures 1969-1989 s’aventure dans les champs historiques, sociaux, politiques, militants… plutôt que du côté de celui de l’esthétique (même si — précisent-ils — quelques œuvres viendront ponctuer le parcours). Disons-le d’emblée, une exposition comme L’Esprit français ne peut que décevoir tant le projet souffre d’imprécisions qui se cristallisent autour d’une volonté d’embrasser une thématique mal définie. L’exposition s’égraine au long de onze sections revoyant chacune à une thématique sociétale de la période traitée. Par exemple, si on comprend bien pourquoi « 1969 » (en référence à l’après mai 1968), en revanche on a du mal à comprendre « 1989 » (chute du mur de Berlin ? Répression de Tian’anmen ? la fameuse « fin de l’histoire » ? Mort de Salvador Dali ou naissance de Taylor Swift ? … ou tout simplement, décider que 20 ans revoie à une génération ?)… On fait alors une petite excursion chez les féministes, une autre chez les LGBT, une chez les anars ; on butine chez Topor et chez Jean-Louis Costes ; on se promène dans les cités-dortoirs, les prisons ou les radios pirates, mais — comme pris dans un car de japonais visitant l’Europe en 4 jours — on ne s’y arrête vraiment jamais.
Qualité de son défaut, les onze sections de l’exposition permettent que chacun y trouve un peu de ce qu’il veut. C’est notamment l’occasion de voir une série d’œuvres trop rarement montrées de la coopérative de Malassis, des pièces de Bazooka, les premiers montages de Pierre et Gilles, des œuvres de Clovis Trouille ou de se rappeler l’existence de Peter Klasen (faut-il vraiment le souhaiter, hum ?). Évidemment, on nous ressert un énième mausolée à la gloire d’Hara-Kiri / Charlie Hebdo (dont par exemple la réalité de son aspect contre-culturel n’est jamais questionnée…) sans jamais entrer dans le vif du sujet. Par exemple, qu’en est-il de l’énigme que constitue l’adhésion populaire à l’aspect trash de ce magazine grand public (les gags grivois de la bande à Choron, les romans-photos, les dessins de Reiser ou de Siné, etc.) ? Au lieu de ça, on se concentre sur les couvertures des magazines convoqués pour leur valeur de témoignage comme cela se produit à plusieurs moments de l’exposition dès lors qu’il est question d’imprimés. C’est d’ailleurs un des problèmes récurrents des expositions de documents (brochures, livres, fanzines, etc.) : qu’apprenons-nous au juste en voyant une couverture (hormis dans le cadre d’une exposition consacrée aux couvertures) ? Si la réponse est évidente (« pas grand-chose ! »), il n’en demeure pas moins que rarement ce type d’exposition prend la peine d’en montrer le contenu[1] (dans cette exposition, les seuls documents manipulables sont les bandes dessinées disposées dans un espace dédié). Il serait donc temps de mettre en œuvre des dispositifs permettant la manipulation de ces documents (fac-similés, numérisation, etc.) afin d’éviter de les transformer en reliquaires stériles.

Malgré les défauts de L’Esprit français. Contre-cultures 1969-1989, la section consacrée à l’éducation (« Interdit/Toléré ») est particulièrement réussie. C’est probablement le lieu où on se rend compte qu’il y a vraiment un avant et un après 1969[2]. On peut notamment y voir que cette période fut celle de la remise en question de l’éducation traditionnelle — relevant largement du dressage des corps et des esprits — vers des pédagogies « alternatives » mettant les enfants (et donc le rapport entre l’enseignant et ce qu’il transmet) au centre de la réflexion. C’est notamment l’occasion d’y voir le tonitruant L’École est finie (crève salope). Ce tract cinématographique de Jules Celma (1975) est composé d’images d’archives et de dessins d’enfants soutenus par un texte rageur où il est question « d’édu-castration », lu par Philippe Noiret. Certains passages résonnent d’ailleurs comme des slogans (« Cesse d’être flic, sale curé ! ») d’autre comme de terribles aphorismes (« Quand un adulte voit un enfant, il voit un tas de viande. Un tas de viande qui doit obéir, c’est-à-dire travailler… »). Le film est accompagné de nombreux documents qui permettent d’en comprendre le contexte. Mais cette section souffre à nouveau de son zapping : voilà un thème rarement traité dans les lieux habituellement consacrés à l’art qui mériterait une exposition plus approfondie…
Peut-être alors que l’explication de l’aspect superficiel de L’Esprit français. Contre-cultures 1969-1989 trouve son explication dans la section « Danser sur les décombres » consacrée au Palace. Le « mythique club parisien » est une fois de plus montré comme le lieu central du monde intellectuel et artistique de la période. La légende dorée du Palace est ici benoîtement psalmodiée (jamais critiqué ou analysée !) et fait office d’étape centrale du pèlerinage. Le problème n’est pas tellement le Palace en soi (on a les gloires qu’on peut !), mais c’est que — dans la narration de l’exposition — il occulte d’autres lieux de productions de contre-cultures à Paris et en province (squattes, scènes, associations, coopératives artistiques, facs, etc.). Finalement, la superficialité de l’exposition est parfaitement en phase avec le genre de transactions mondaines qui s’opèrent en boite de nuit.
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L’Esprit français. Contre-cultures 1969-1989, jusqu’au 21 mai 2017, Maison Rouge (Paris)
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[1] C’était déjà le cas par exemple dans une exposition consacrée au fanzine en 2015 à la Cité des arts.
[2] Ça me semble différent pour l’affirmation populaire de l’homosexualité qui ne devient réellement possible qu’au milieu des années 1990 et que je daterai pour ma part en 1995 avec la programmation sur Canal + de la première Nuit gay et l’organisation de la Gay Pride simultanément dans plusieurs villes de France.
En 69, la révolution culturelle était derrière pour l’essentiel, et c’est à l’installation de celle-ci qu’ on a assisté . Jusqu’en 75, certains ont cru que cette révolution dans la culture allait déboucher sur une révolution tout court . Et c’est BHL qui a gagné contre Badiou et son insupportable soutient au régime de Pol-Pot.
89, c’est sans doute le moment où on ne pouvait plus parler de contre-cultures, tant celles-ci se voyaient confondues avec la culture . Tant qu’on pouvait faire peur au bourgeois, il pouvait y avoir des cultures exclues de la Culture selon l’image que le bourgeois en avait . Mais, c’est le sort des cultures que d’ arriver à modeler les esprits et de ne plus de ce fait, faire peur . De 69 à 89, on assisté à l’installation d’un anti-conformisme, devenant le plus parfaitement conforme . Mitterrand et Lang ont oeuvrés au niveau de l’ Etat pour démarginaliser en quelque sorte, le pouvoir des contre-cultures .