
La Vitrine du centre d’art La Terrasse est une longue vitrine qui donne sur une place en contrebas de la Défense. Le lieu en lui-même est suffisamment atypique pour valoir la visite. Cet espace accueil plusieurs fois par ans une intervention d’artiste dont le principe est que les pièces doivent être vues de l’extérieur. C’est Edouard Prulhière qui propose en ce moment une installation dans cet espace.
Ce qui frappe d’emblée lorsqu’on arrive devant la vitrine est l’aspect vaporeux. L’artiste a choisi d’intervenir sur la vitre de la vitrine ainsi que sur le mur qui lui fait face. Le mur du fond est une sorte de monumental wall painting mêlant sérigraphies et peinture badigeonnée que viennent brouiller des images de paysages sérigraphiés à même la vitre. La surface vitrée reflète la rue de manière plus ou moins parasitaire selon le moment du jour ou de la nuit (la vitrine est éclairée la nuit). L’installation joue donc sur les occultations, les chevauchements et les collisions de sens, presque des associations libres. Percevoir l’ensemble de la forme de Space Slot est impossible et Edouard Prulhière se joue de cette frustration prenant tout de même le soin d’organiser des respirations dans cette composition somme toute gestuelle.
Space Slot fait figure de tournant dans l’œuvre de l’artiste dans le sens où il parvient à aboutir une réflexion sur l’image. Ce virage est d’autant plus audacieux que l’artiste s’est fait connaitre avec des pièces qui interrogeant l’ontologie de la peinture avec des amas de toiles chiffonnées en boule ou des tissus maculés de peinture sombre organisés dans l’espace. Et finalement, c’est encore cette ontologie de la peinture qui parcourt Space Slot, mais cette fois mis en regard de l’apparition des images dans sa peinture. Si on y regarde de plus près, les images utilisées par Edouard Prulhière sont toutes des images de fantômes : celle enfantine de Casper tirée du dessin animé éponyme, celles de visages du passés prélevés dans les musées d’archéologie, celle du reflet du spectateur dans la vitrine. Ces visages spectraux se mêlant à des paysages qui ne le sont pas moins, vues de nature qui pourraient provenir de n’importe où. Banalité, pas tout à fait : en s’y laissant happer on discerne un mat au bout duquel pend un drapeau américain qui semble en berne. L’artiste renverser alors la hiérarchie de la composition classique qui voudrait que la figure se trouve devant le paysage. Ici le paysage sert d’écran, il nous embusque tout en nous dévoilant : le spectateur est un voyeur à poil.
Malgré le recours aux différents tons de noir qu’utilise l’artiste, Slot n’est pas lugubre, il s’en dégage même une sorte de paix presque comme un mandala frontal dénué d’agressivité et de grandiloquence. Le barbouillage n’efface pas mais lie les figures entre elles dans une fumée de lavis. Et cette ritournelle gestuelle vient faire basculer l’aspect figé des visages endormis comme dans un sabbat carnavalesque sourd et étrange. Alors ces masques resteront à jamais orphelins et insaisissables à moins de prendre conscience que ces drôles de spectres sont là et qu’il nous revient de les accueillir.
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Space Slot est visible à toutes heures depuis la place Nelson Mandela, Nanterre (La Terrasse, Centre d’Art de Nanterre) jusqu’au 31 décembre 2017.