« Les jeunes ne se mobilisent pas, ils ne sont plus politisés », cette rengaine, on l’a tous déjà entendu et peut-être même prononcé. Évidemment, ces invectives proviennent généralement de personnes n’ayant aucun engagement politique ou tellement en pointillé que ça revient à quelque chose de proche du néant. Comment j’ai la chance de travailler dans l’enseignement supérieur, je côtoie ces « jeunes » et je vois bien que leur conscience politique est éveillée. La différence avec les générations précédentes est probablement que leurs engagements et leurs formes de lutte sont moins linéaires, moins lisibles depuis les anciens schémas, moins soumis à une discipline de parti, plus libres. Et c’est justement ce qui fait que les nouvelles formes de mobilisations qu’iels initient semblent plus efficaces et réactives que les anciens processus adossées à des formations politiques ou syndicales.

Premier point. Concernant les jeunes qui ne seraient « plus politisés ». Je me souviens des grèves de 1995 (c’est là qu’on voit qu’on peut me catégoriser dans « les vieux » !). A cette époque, j’étais lycéen à Paris. Avec un groupe d’amies (j’accorde au féminin, car concrètement, il n’y avait quasiment que des femmes), nous sommes parvenus à bloquer le lycée. Nous étions moins de dix personnes à agir concrètement dans l’indifférence, voire le mépris, des autres lycéens. Il en était de même avec tous les autres lycées parisiens avec qui nous avions des contact (c’était avant les smartphones…). Et pourtant, la France était bloquée, les médias pas encore totalement phagocytés par les milliardaires et les industriels. Donc, lorsque les gens de mon age me disent que les jeunes ne se mobilisent plus, j’ai vraiment envie de leur demander ce qu’ils foutaient en 1995 !

Deuxièmement, les « vieux » (c’est là que j’aimerai tellement ne pas faire partie de ma génération !) ont une sorte de pouvoir de démobilisation. Anecdote assez parlante : cette semaine, je me rend à une réunion politique organisée par un parti de gauche deux jour après la dissolution surprise de l’Assemblée Nationale. Étaient présents, les militants politiques et syndicaux habituels (donc surtout des hommes…) rejoints par plusieurs groupes d’activistes (militant.es lgbtq+, antispécistes, défenseur.euses du peuple palestinien, etc.). Comme à leur habitude, les militants traditionnels  trop content d’avoir une public renouvelé  se tiraient la nouille à qui ferait l’analyse politique la plus fine. Puis la conversation a dévié sur « il nous faut un local de permanence », puis « on va faire une autre réunion », puis « on va définir une stratégie », puis « on attend des nouvelles du national », etc. Bref, la confortable perte de temps traditionnelle qui fait que rien ne bouge. Leur attitude était complètement déconnectée de l’urgence : décider d’une rassemblement public et d’une manifestation contre le RN. Les jeunes personnes qui assistaient à ce spectacle étaient outrées par cette attitude, et elles avaient raison (sans compter qu’il y a toujours des vieux militants pour leur expliquer comment organiser une lutte, exercice dans lequel ils ont échoués avec une régularité de métronome) ! Heureusement que les activistes sont habitués à agir avec leur enthousiasme comme moteur, sinon iels seraient rentré.es dans leur coloc pour compter leurs points retraite (qu’iels n’auront d’ailleurs pas!).

Troisièmement. La manif à tout de même eu lieu le lendemain non sans être passé outre l’avis des syndicats et des formations politiques qui leur promettaient un fiasco (ils étaient encore confis dans leur phase « on attend des nouvelles du national » et « on va définir une date pour la prochaine réunion »). Cette manifestation a été organisée en moins de 24h, sans l’aide directe des syndicats (quelques « vieux » parmi les plus pragmatiques ont tout de même mis leurs compétences à leur service et ont apporté leur soutien en off, notamment pour déclarer la manifestation en préfecture). La communication pour la manif s’est organisée via les réseaux sociaux individuels et la manifestation a été un réel succès pour une ville de province plutôt politiquement endormie. Les syndicats sont tout de même venus au deuxième assemblement du lendemain, sentant probablement que la situation leur échappait.

Que retenir de cela ?

La première chose est qu’il n’y a pas grand-chose à attendre des formations politiques et des syndicats lorsqu’il s’agit d’organiser une action rapidement (mais cela on le savait !).

Deuxièmement, les groupes activistes ont une force de mobilisation bien plus efficace et pragmatique dès lors qu’on est d’accord sur l’essentiel (ici combattre le vote RN, voire installer un gouvernement réellement de gauche). Évidemment, on pourrait spéculer sur le potentiel étiolement de cette mobilisation si elle ne tenait que sur l’énergie et l’enthousiasme. Mais concrètement, le combat politique contre le RN pour ces élections législatives anticipée de 2024 est un sprint.

Troisièmement, ces activistes  qu’on a longtemps pensé comme communautaristes (en gros, l’idée rependue et fausse que les militant.es lgbtq+ ne s’intéressent qu’aux problématiques lgbtq+)  sont incroyablement efficaces dès qu’il s’agit de s’unir (ce que me semble une réelle nouveauté en comparaison avec ce que j’ai connu par le passé). La plupart des groupes militants communiquent entre eux et ont depuis longtemps pris conscience de la nécessité de la convergence des luttes et du fait que la racine du mal dont tout découle est la superstructure capitaliste.

Enfin, mais cela on le savait, il ne faut pas considérer les structures d’actions politiques et syndicales traditionnelles comme une fin, mais comme un moyen. Ces structures sont utiles à plusieurs niveaux institutionnels, mais ils ont une incapacité à agir concrètement et ont tendance à distiller une inertie à tout ce qu’elles touchent. Mon but n’est pas de dénigrer ces structures établies, mais d’opérer une prise de conscience lorsque la situation impose l’urgence (il est vrai que 7 ans de criminalisation de la gauche par la macronie a installé une sorte de climat de peur dans les formations traditionnelles de gauche !). Dans cette lutte pour le retour à une démocratie apaisée et solidaire, toutes les forces sont nécessaires. La force des activistes est leur pragmatisme et leur manière spontané d’action, leur capacité à agir avec leur enthousiasme et leurs formes transversales de mobilisation. Sans elles et eux, rien n’aurait démarré à temps dans ma ville moyenne de province… Puissent les formations traditionnelles s’en inspirer !