C’est avec un certain plaisir que j’écoute cet été encore les cours de Michel Onfray de l’Université Populaire de Caen diffusés sur France Culture. Onfray a un réel talent de conteur. Il sait rendre captivant sa « contre histoire de la philosophie » qui s’exprime pleinement dans sa diction douce et fluide (certains philosophes sont particulièrement agréables à écouter comme c’est le cas pour Gilles Deleuze ; et d’autres comme Michel Foucault ont une diction tellement crispante – du moins dans les enregistrements disponibles – qu’il est quasiment impossible de tenir sur la longueur).
Ce qui est troublant avec Michel Onfray est qu’il cristallise depuis déjà plusieurs années la haine d’une partie des intellectuels français. Parmi les hypothèses objectives expliquant ce rejet : jalousie (des professeurs) devant un succès éditorial incontestable, énervement face aux attaques répétées (et souvent justifiées) d’Onfray contre l’enseignement de la philo, les axes « originaux » (c’est-à-dire des thèmes non éligibles à la préparation des Capes et Agreg.) des entreprises d’Onfray… bref rien que du classique.
Je n’ai pas d’avis particulier sur ses livres, car je n’en ai lu que très peu et bien qu’intéressant dans leur projet, ceux que j’ai lu m’avaient paru un peu basiques (La Politique du Rebelle et Traité d’athéologie pour être exacte, donc des choses assez anciennes). Mais il me parait évident que l’Université Populaire est une chose qui fonctionne, et que les cours qui y sont donnés par Onfray et d’autres viennent combler un vide, c’est-à-dire celui d’un enseignement de qualité destiné à un public adulte, et qu’un réel plaisir se dégage de l’écoute de ces cours (je me répète!). Nul doute également que le travail d’Onfray est sérieux, documenté et qu’on ne peut suspecter cette personne de passer son temps à « réseauter » (« networker » pour les intimes!) dans les salons parisiens pour décrocher quelque charge de mission rondement payée.
Cette année, Onfray avait fait encore plus fort que les années précédentes en publiant un livre sur le mythe « Freud », ce qui lui a valu une volée de bois vert de la part des gardiens du Temple, essayant par la même occasion de sauter sur l’aubaine éditoriale pour revendre leur came. C’est justement ses recherches qu’il a livré à Caen et qui sont diffusées sur France Culture cet été.
Or surprise, on apprend sur le site de France Culture que des auditeurs se sont plaint de cette diffusion :
Certains de nos auditeurs nous ont fait part de leurs réserves, voire de leur opposition à la diffusion dans notre grille d’été, des cours de Michel Onfray consacrés cette année à Sigmund Freud.
France Culture se sent même obligé de justifier du fait qu’ils ont abondamment donné la parole aux opposants d’Onfray et aux défenseurs de la « statue du Commandeur » (et on ne peut pas dire que les thèses freudiennes et la psychanalyse en général soient souvent dénigrées ou remises en question sur France Culture…). Mais que reproche-t-on au juste à Onfray au sujet de Freud.
C’est finalement assez simple : Onfray a tenté non pas une énième exégèse de la doctrine freudienne (qui fait d’ailleurs bien souvent l’économie de la lecture de Freud!), mais a choisi de mener des recherches sur les motivations de « l’inventeur de la psychanalyse » (ce que conteste Onfray), son mythe et ses conditions d’apparition. Entreprise salutaire et passionnante…
C’est justement pour cela qu’Onfray est attaqué par le biais d’accusations relativement classiques et à peine déguisées d’antisémitisme, de fumisterie, d’incompétence, etc. En fait ce qui se produit avec Onfray est à peu de choses près ce qui s’est produit avec le lynchage en règle d’Emmanuel Faye lors de la parution de son essai sur Heidegger (Heidegger, l’introduction du nazisme dans la philosophie : Autour des séminaires inédits de 1933-1935), les accusation ineptes contre Sokal et Bricmont lors de la parution du salutaire Impostures Intellectuelles qui remettait en question les abus de certains penseurs des French Studies (Derrida, Kristeva, etc.) ; ou encore – dans un domaine plus familiers aux lecteurs d’Osskoor – au sujet du fameux rapport d’Alain Quemin sur la catastrophique représentation des artistes français à l’étranger (L’Art contemporain international, entre les institutions et le marché). A chaque fois, c’est le porteur de mauvaises nouvelles qu’on cherche à descendre. A chaque fois, le but de la startégie des contradicteurs est de porter l’anathème sur quelques détails (amplifiés et déformés comme il se doit, quand il ne s’agit pas d’une négation en bloc dans le style « ce que vous dites ne peut pas être ») pour feindre de ne pas voir le lièvre levé par les études en question. Le problème, c’est qu’en dehors des « exercices d’admiration » et autres singeries mondaines pour normaliens, rien ne semble permis dans les milieux intellectuels français si ce n’est la reproduction du même… reste alors la tentation de Caen…
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Dernière chose et petit doute, peut-on être hédoniste et avoir un site web aussi moche (pendant ce post j’ai défendu le boulot d’Onfray, mais il y a des limites que je refuse de franchir comme recommander un site affreux ou alors regarder une seconde de plus la couverture du Freud d’Onfray probablement composée par un graphiste atteint de conjonctivite chronique, à moins qu’il n’ait été payé par Roudinesco pour saboter le boulot) ?
bonjour,
j’ai lu votre article, c’est intéressant.
ce qu’il faudrait, c’est trouvé un penseur qui prenne de la hauteur sur notre époque et notre monde pour analyser le phénomène Onfray.
Car Onfray est sans doute le personnage qui représente le mieux notre époque.
Il arrive à provoquer énormément de débats, de controverses sans jamais avoir trouver une idée nouvelle.
En fait il symbolise e qu’on appelle la crise des idées nouvelles, je ne sais pas si vous en avez déjà entendu parler.
Nous nous intéressons à des hommes politiques et des intellectuels qui savent bien parler, ils captivent leur auditoire, mais au final si on regarde de près leur discours on s’aperçoit qu’ils n’ont rien dit du tout.
En ce sens nous pourrions dire qu’Onfray est à la philo ce que Sarko est à la politique.
Le côté amusant c’est que la vie intellectuelle française est bercée au rythme des dernières lectures d’Onfray : il découvre freud, vlan on a droit à un tas de scoops sur freud,
en fait ce ne sont pas des scoops parce que ce sont des choses qui ont été écrites depuis longtemps.
C’est le même principe que le système médiatique : nos informations sont données au rythme des découvertes méditiaques.
En cela Onfray est très fort parce qu’ilarrive à capter l’attention des médias et des publics.
C’est là un phénomène qui’il faudrait étudier de près car il en dit très long sur notre époque.
trop bien! votre commentaire
j’écoutais hier soir un de ces cours d’Onfray sur Freud ayant allumé par hasard France Culture. Je précise d’entrée de jeu que je suis psychologue, et que j’ai suivi une analyse, donc on dira pas très neutre. Mais je voulais juste dire qu’une des choses qui m’a frappée hier soir, c’est ce que j’entendais comme un reproche de la part d’Onfray, à l’égard de Freud, le fait que ce dernier était de toute évidence bourré d’angoisses, névroses, et que sais je encore; et là je ne comprends pas très bien; ceux qui s’intéressent un peu aux douleurs de l’âme, savent bien qu’en général, la motivation est précisément, d’être soi-même concerné. Moi, ca me rend Freud plutôt sympathique de savoir qu’il allait si mal et qu’en plus il ne s’en cachait pas. Certes Onfray a développé d’autres idées hier soir et je vais continuer à l’écouter, mais sincèrement je n’ai pas été très sensible à ses arguments pour le moment. Il a fait également mention de son usage de la cocaïne pour dire « attention certains de ses écrits l’ont été sous « emprise » de la cocaïne. Et alors ?Qu’on est fait de Freud une « idole » ou qu’il se soit promu lui-même à cette place, est certes totalement abusif et ça je peux comprendre qu’Onfray ait envie de déboulonner l’idole mais hier j’avais l’impression qu’il piétinnait un malade et je me demande bien pourquoi , si quelqu’un peut éclairer ma lanterne, cela m’intéresse. Merci.
franchement se focaliser sur Freud pour sabrer la psychanalyse …ca lui fait si peur?!!…
très louche
c’est comme s’acharner sur Ambroise Paré pour la médecine
et Winnicott et Green?….
les recherches actuelles?
C’est toujours salvateur lorsqu’il y a un débat « populaire » autour de problèmes de spécialistes, c’est pour ça que je pense que la force médiatique d’Onfray est bénéfique pour le monde intellectuel français (surtout lorsqu’on en peut plus d’entendre Steigler, Sollers, Attali et Orsena enfiler des perles!!).
Mais il est fort probable que les tentatives d’Onfray ne parviennent pas à atteindre leur but, non pas parce qu’elles seraient illégitimes mais parce que les défenseurs d’une certaine vision de la psy se débrouillent pour porter le débat sur des terrains qui les arrangent eux (Miller, Roudinesco, etc.). Deleuze et Guattari ont lancé une charge intellectuelle construite et radicale contre le freudisme: résultat, ceux qui se seraient tournés vers Freud se sont tournés vers Lacan… pas sur d’y avoir gagné au change!
Ce avec quoi je ne suis pas d’accord avec Onfray c’est lorsqu’il disqualifie la méthode psychanalytique sur des bases purement théoriques alors qu’a mon sens il s’agit dans les faits davantage d’une pratique. Je ne suis pas client de cette méthode, mais mon relativisme me pousse à reconnaitre que pour certain elle a permis de les faire « avancer » (pour d’autres ce fut une catastrophe, ce qui me fait penser qu’il s’agit essentiellement d’une « pratique » quasi artisanale dans le sens où la différence ce fait entre un « bon » artisan et un « mauvais »… autre débat).
très intéressant, ce post et les commentaires.
je salue la qualité et la solidité de ce blog
Le problème d’Onfray, c’est qu’il est malhonnête et qu’il n’est pas, contrairement à ce qu’il diffuse, un vrai philosophe. Son succès éditorial est le fruit direct d’un racolage bas-de-gamme dépourvu de bases intellectuelles réelles. Sa « recherche » n’est qu’une manipulation par un fort courant comportementaliste, dont le problème majeur est de n’avoir pas compris Freud.
Les mensonges et calomnies d’Onfray contre Freud sont gravissimes car il y a une volonté de détournement des personnes en recherche et interessées…qui risquent de louper leur plus belle aventure humaine et leur épanouissement personnel si elles écoutent ce tissu de balivernes digne du capitaine Haddock.
évidemment, je suis en désaccord avec vos affirmations.
Je ne pense pas qu’Onfray soit malhonnête et je ne sais pas ce qu’est un « vrai philosophe ».
Je perçois l’anti-comportementaliste dans votre commentaire, mais pour ma part j’ai autant de raison de douter du comportementalisme que de la psychanalyse de quelque obédience quelle qu’elle soit. Ce n’est pas parce qu’une recherche n’arrange pas nos croyances (ce qui est d’ailleurs le propre de la recherche en sciences humaines et ce qui la différencie du dogme) qu’elle est malhonnête ou falsifiée. Aucune des contre-attaques contre Onfray ne m’ont convaincues jusqu’à présent(des Miller jusqu’à Roudinesco qui a été mieux inspirée par le passé).
En même temps, comme je l’ai déjà écrit plus haut, je pense que l’analyse est avant tout une « méthode » ou une « pratique » et donc qu’il ne me semble pas nécessaire pour le patient de lire Freud pour « s’épanouir personnellement » (je me méfie également de cette notion!). Je me demande même si cette pratique ne pourrait pas être tout aussi efficace apprise « sur le tas » (en « apprentissage » dirait-on dans les métiers de l’artisanat), sans le verni théorique (certes rassurant mais trop souvent assez creux)… mais là je m’avance un peu étant donné que je n’y connais pas grand chose sur la formation des psys.