Il existe parfois de fausses bonnes idées comme celle qui consiste à faire cohabiter des oeuvres dont le seul point commun est d’être chez la même galerie. Et c’est un peu ce qui se passe avec la confrontation entre les photographies de Candida Höfer et les sculptures de Vincent Ganivet.

Candida Höfer fait office de papesse de la photographie. Née en 1944, l’artiste s’est taillée une place de choix bien méritée dans la photographie contemporaine. Ses images parfaitement construites, aux détails saisissants, sont tout simplement sublimes et s’imposent par leur aspect monumental.
Particulièrement saisissante, Neues Museum Berlin XXV (2009) représente une salle d’égyptologie vide. On retrouve l’idée du musée comme ruine, et l’affaire devient vertigineuse lorsqu’il s’agit d’un lieu (le musée) qui vivait lui-même sur les ruines d’une autre civilisation (l’Egypte des Pharaons). Höfer pénétre dans la complexité de l’iconographie muséale tout en renvoyant dos à dos les « grands récits » historiques basés sur l’idée de progrès et une approche circulaire du temps chère à la pensée antique.

Vincent Ganivet est un jeune artiste révélé au grand public par l’exposition Dynasty au Palais de Tokyo. Dans cet univers, les sculptures monumentales de Vincent Ganivet étaient particulièrement impressionnantes, mais il faut surtout avouer qu’elles jouissaient du choc de la nouveauté et d’une confrontation plutôt à leur avantage avec des pièces moins fortes à l’époque.

Depuis on s’est probablement (déjà) habitué à ses pièces construites comme des sortes de jeu de Kapla en parpaing. Et c’est d’ailleurs probablement conscient de cela que l’artiste cherche à se renouveller avec des pièces différentes comme ses Fontaines ou des pièces plus modestes (Tour Triple Hélicoïdale, 2011). Mais un « je ne sais quoi » relève de la déception avec sa dernière expo chez Yvon Lambert.
D’abord les pièces de la première salle. Intitulées « Fontaines », elles offrent un hommage un peu lourdaud et tellement ressassé au célèbre ready made de papy Marcel. Alors on pourra évidemment gloser sur certains détails des pièces de cette série en argumentant qu’il ne s’agit pas vraiment de ready made (parce que l’utilité des lavabos reste d’actualité), que d’autres grands artistes ont aussi rendu hommage à Duchamp, etc. Mais force est de constater que l’esprit de sérieux, et la sollénité baroque avec laquelle Ganivet s’agenouille devant le maître, laissent pantois.
Car chez Yvon Lambert, c’est du vraiment sérieux. On n’est plus confronté à ses petits camarades de promo, mais à Candida Höfer qui maitrise parfaitement son sujet. Du coup, l’exposition renvoie Vincent Ganivet dans le rôle d’un petit garçon qui tire frénétiquement la robe d’une grande femme sublime dans l’espoir vain d’attirer son attention. C’est dommage, l’artiste ne méritait pas ça.
Alors, on cherche à comprendre pourquoi les pièces de Ganivet ne fonctionnent pas. Pour les Foutaines, c’est entendu : l’exercice d’admiration a mal tourné, même si formellement les sculptures sont loin d’être indignes. Mais pour la grande arche qui trône dans la salle principale, le verdict est plus complexe, notamment parce qu’ailleurs ce genre de chose fonctionnait mieux. Probablement s’agit-il d’un problème d’échelle, de rapport entre les dimensions de l’oeuvre et la taille de la salle qui l’accueille. Les murs de la galerie semblent bousculer le spectateur comme pour l’amener à butter sur l’arche de parpaing, presque à la manière d’une bille de flipper. Ce sentiment particulièrement inconfortable pousse à regarder de plus près le détail de l’oeuvre. Il devient alors impossible de détourner son regard des différents étais qui permettent à la sculpture de tenir. On ne comprend plus ces petits tasseaux maigrichons qui parsèment l’oeuvre comme une feuille de salade prise entre deux dents. De proche en proche, la sangle bleue devient elle aussi incompréhensible. Et une fois qu’on punctumise sur ce genre de détail, impossible de voir autre chose, autrement.

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La photo du Palais de Tokyo provient du blog de Vert et Plume.