
ça fait une dizaine d’années que la mode du coaching a envahi la France. Avant cela, on connaissait le développement personnel. On trouvait ces préceptes censés accroître notre pouvoir de séduction, nous apprendre à être un vrai leader, trouver le bonheur, etc. dans des livres qui – bien que souvent très creux – se vendent comme des petits pains. Plus récemment, des programmes télé de coaching se sont développés pour apprendre à nos concitoyens à élever leurs gamins, à nettoyer leur appart, à décorer leur pavillon de banlieue, à s’habiller, etc. Evidemment, il y avait toujours une dose de psychologie à la petite semaine dans ces affaires. Mais le cinéma ne s’était pas encore emparé du phénomène, injustice que répare le film québecois Le Sens de l’Humour (réal : Emile Gaudreault, 2011).
Deux comiques (Luc et Marco) écument les cafés théâtres québéois avec leur spectacle joliment intitulé « ça va puncher! ». Seulement, l’humour qu’ils pratiquent est diamétralement opposé et la cohabitation n’est pas toujours évidente entre le sarcastique taciturne et prétentieux (un genre de Gaspard Proust) et le roi de la gaudriole et de la blagounette de fin de banquet (fils caché de Patrick Sébastien et de Gad Elmaleh).
Le spectacle est bien rodé. Alors que Luc se complaît dans ses bides, Marco joue avec le public et aime (comme tout mauvais comique qui se respecte) prendre pour cible un spectateur qui se fait vanner pendant toute la soirée. Un beau jour, ils prennent pour cible Roger, vieux garçon, timide serveur dans un snack (au bar en forme de bélouga!) et risée de ses collègues. Mais Roger n’a aucune idée de ce qu’est l’humour et prend très mal les blagues lourdaudes de Marco : il décide d’enlever les deux comiques pour se venger. Comme le petit jardin secret de Roger c’est d’être tueur en série fort bien équipé (notamment avec un « écouilleur » qui vaut le détour!), les deux compères risquent de passer un sale quart d’heure (le fameux « quart d’heure québécois » beaucoup moins suave que le « quart d’heure américain »!). Mais pour retarder le moment fatidique, Luc et Marco enfermés dans une grande cage vont décider d’apprendre à Roger à faire des blagues pour séduire les femmes. S’en suit toute une série de scènes désopilantes.


Les deux compères vont donc proposer un certain nombre d’exercices de développement personnel inspirés des enseignements de cours d’art dramatique (Actors studio, Stanislavski, etc). Marco se révèle être un coach particulièrement convaincant : il va même jusqu’à inciter son tortionnaire/élève à trouver « son clown intérieur » ou « son intonation comique » (les scènes de coachings sont d’ailleurs assez fortes à nous décrire les ambivalences de postures entre esclave et maître à l’oeuvre dans l’enseignement et dans les thérapies psy). Marco et Luc se rémémorent aussi les documentaires qu’ils ont vu sur les tueurs en série et essayent d’amadouer psychologiquement Roger avec les conseils prodigué par des psy d’opérette des talk shows. Finalement, Le Sens de l’humour est une sorte de Conte des Milles et Unes Nuits du coaching : tant que les deux compères trouvent de nouveaux exercices de développement personnel, il auront la vie sauve…
Parallèlement, l’épouse de Marco et la soeur de Luc, sans nouvelles des deux comiques, se lancent à leur recherche. On découvre une soeur aux prises avec une thérapie comportementaliste d’une cure de désintox et qui se sent obligée de verbaliser tout ce qui lui arrive dans des termes psy (« je l’aime ma tristesse, ça fait partie de moi ma tristesse, elle à le droit d’exister », « ça vient me chercher », « je suis allé bien loin dans l’émotion »). Quand à elle, la femme de Marco qui – bien qu’ayant épousé un comique – reste dépressive au dernier degré. C’est dans ce deuxième duo comique du film que se cristallise la critique relativement fine des thérapies comportementalistes qui rendent les patients auto centrées (et donc insupportables pour leur entourage) et de l’autre les thérapies chimiques conduisant à l’apathie du sujet. Inutile de dire que ces Cherlock Holmes sous prozac vont se révéler d’une rare inefficacité dans la recherche de Luc et Marco.


Je ne sais pas la manière dont a été reçu le Sens de l’humour au Québec, ni même si il a été distribué en France, mais pour ma part, je suis tombé dessus par hasard. Et ça m’amène à confirmer ce que je pense depuis longtemps : c’est dans le cinéma bis que se trouve quelques pépites qui permettent d’avoir un regard non conventionnel sur nos comportements et les évolutions sociales. C’était aussi le cas avec l’excellent Idiocracy de Mike Judge. Tout le problème est que pour ces films, il faut parvenir à passer outre l’absence de place qui leur est faite dans les médias, un pitch souvent crétin, la laideurs de leurs affiches et de leurs bandes annonces…