JR, collage dans l'impasse de la Galerie Perrotin.

J’ai toujours été assez partagé devant le travail d’Ernest Pignon Ernest, même si il s’agit d’un artiste honnête, dessinateur accompli, qui poursuit inlassablement son projet d’apparition urbaine. La qualité de Ernest Pignon Ernest réside essentiellement dans sa discrétion, dans le fait que ses dessins surgissent sobrement dans les recoins des rues ; et – bizarrement – c’est « grâce » à JR que j’ai découvert cette qualité.

Le travail de JR est basique : des portraits photographiques, agrandis autant que possible et affichés où il peut, c’est-à-dire dans des endroits qui feront le buzz (mur de Gaza, favelas, ghettos, banlieues, etc). C’est d’ailleurs pour cela que certains journalistes culturels ont décidé de classer cet artiste dans la catégorie « street art ».Inutile de dire que si il s’agit de street art, c’en est une version « propre », un street art pour caniches, la rencontre fortuite entre Futura 2000 et Valérie Damidot cachetonnant un featuring chez l’afficheur Decaux.

Dans l’exposition « Encrages » (première faute de goût : ce titre digne d’une mjc), on peut voir des séries de photos comme traces de collages dans l’espace public. Ces photos sont tirées en grands formats et monté sur de lourds cadres de peintres du dimanche. Les couleurs sont criardes comme pour bien montrer que l’artiste dispose des visages en noir en blanc dans l’univers coloré des damnés de la terre. Et c’est en incistant lourdement sur cette dialectique de la pauvreté que JR s’enlise dans une discours visuel teinté d’une charité chrétienne d’un autre age… on pense alors à cette chanson de Brel :

Pour faire une bonne dame patronnesse
Mesdames tricotez tout en couleur caca d’oie
Ce qui permet le dimanche à la grand-messe
De reconnaître ses pauvres à soi,
Ce qui permet le dimanche à la grand-messe
De reconnaître ses pauvres à soi.

Jacques Brel, La Dame Petronesse, 1959.

JR propose également un photomaton permettant au visiteur de tirer son portrait en format géant (comme c’était le cas à l’expo Delhi à Beaubourg, comme quoi, quand une expo n’a rien à dire, il faut amuser les visiteurs avec des gadgets). Probablement que ce pseudo geste collaboratif (relevant du registre de l’occupationnel) entre visiteur et artiste est censé faire « dispositif »…

Si les affichages de JR ne se limitaient qu’à une forme de mauvais goût,  version pompier du street art, ça ne serait pas trop si grave. Après tout, quantité d’artistes médiocres gagnent leur vie en faisant du sous Picasso ou des peintures de barques échouées sur le littoral breton, et pourquoi pas! Mais ce qui me gêne le plus chez JR est d’imaginer le riche collectionneur (il faut pouvoir s’offrir un truc de chez Perrotin!) affichant ces photos criardes dans son salon en pensant qu’il fait une double BA en soutenant un « art de rebelle » et en se prouvant que les ghettos et autres favelas peuvent être pittoresques avec un peu de déco. C’est tout le côté irresponsable de l’artiste qui consiste à gommer les situations politiques complexes et dramatiques derrière une imagerie niaise. Comment peut-on sincèrement se réfugier derrière des images géantes lorsqu’on parcourt des endroits ravagés par la guerre ou la misère extrême ? En fait, les photos de JR, c’est une peu du Yann Arthus Bertrand tant dans sa laideur formelle que dans la médiocrité complaisante de son propos ; c’est l’école Aznavour de l’art politique (« la misère est plus belle au soleil… »).

Inquiétante est la mauvaise mine de l’écurie Perrotin. Après une expo bizaroide cet été qui présentait des pièces de Duchamp, Beuys et Murakami sous un régime d’équivalence grotesque (Murakami a certes  fait des choses intéressantes, mais de là à comparer son oeuvre à celle de Marcel et Jojo!), puis on a assisté à une exposition poussive de Murakami en hommage à Klein. Maintenant Perrotin sort de son chapeau un artiste qui n’a pas grand chose à dire et qu’il jette dans la fausse d’une manière une peu vicieuse. Reste à espérer que les orientations récentes de la galerie parisienne n’entraîneront pas dans leur chute Delvoye ou Cattelan

On m’a déjà fait remarqué que ce n’est pas très sympa de critiquer un jeune artiste. Mais d’une part, JR semble largement bankable (donc ce que j’écris n’est que pet de sansonnet en périphérie de son ascension fulgurante!), d’autre part, il existe d’autres jeunes artistes largement plus intéressants (Laurent GrassoCyprien Gaillard, Raphael Zarka, Céleste Bousier-Mougenot, pour ne citer que d’autres stars du moment) ayant une oeuvre beaucoup plus captivante. Donc, allez-voir ces derniers (et d’autres encore) et oubliez JR.

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J’ai déjà traité  la problématique de l’exposition du street art et des startégies de communication des streets artistes dans le woa dans deux précédents post :  Banksy vs le Bristol Museum: un cas de communication autour d’une exposition et « Banksy à Bristol » (suite) mis à nu pas le cultural engineering même.

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JR « Encrages »
76 rue de Turenne
Du 19 novembre 2011 au 7 janvier 2012

JR Ewing, Dallas.