
Certaines expositions donnent envie d’y passer du temps, de comprendre chacune des oeuvres, les liens entre elles, la scénographie, tant on présent qu’elles proposent une réflexion subtile sur l’art. Quitte à rompre tout suspense, l’exposition de la collection de Thomas Olbricht est de cet acabit, comme c’est d’ailleurs souvent le cas à la Maison Rouge (en écrivant ça, je me dis que je dois quelques unes de mes émotions artistiques de ces dernières années à cette fondation, alors même que les musées traditionnels me laissent souvent sur ma faim !). Cet enthousiasme est renforcé par le Petit journal de l’exposition accompagnant la visite qui a le mérite de refuser le novlangue de l’art contemporain tout en éclaircissant le propos de l’exposition, chose hélas trop rare dans les expositions institutionnelles.
La collection de Thomas Olbricht (né en 1948) compte pas moins de 2.500 pièces de toutes les époques dont seule une petite partie est présentée à « Mémoires du futur » sous le commissariat de Wolfgang Schoppmann1. Ce qui fascine d’emblée est le mélange entre des pièces de la Renaissance (peintures, gravures, objets de cabinets de curiosité, etc.) et des oeuvres de l’extrême contemporain (de la première décennie du 21e siècle pour nombre d’entre elles). Là où cet exercice aurait pu être scolaire, ennuyeux, démonstratif ou autolégitimant (« regardez! Si j’ai du goût pour l’art ancien, l’art contemporain que je collectionne est forcément le bon »), il parvient à induire un dialogue entre des oeuvres pourtant issus de contextes culturels très différents. Certes, ce genre de tentative n’est pas nouvelle. Mais, il y a quelques années, « Mélancolie » de Jean Clair2 n’était pas parvenu à organiser un dialogue à armes égales entre les pièces du passé et les oeuvres actuelles. Plus récemment, « Vanité » au Musée Maillot3 avait transformé cette confrontation en vitrine de boutique de Duty Free. Inutile de dire que l’exercice n’est pas facile et que chaque faux pas peut faire sombrer dans un bric-à-brac chic, aussi profond qu’une double page dans Elle déco.

On peut éprouver toute la tension de l’accrochage de « Mémoires du futur » dans la salle « grise » reprenant assez littéralement l’idée du Wunderkammern (cabinet de curiosité des cours germaniques de la Renaissance). Le mur de droite en est un exemple presque paradigmatique. L’intelligence de l’accrochage nous fait pénétrer dans l’ambiguïté de la modernité artistique, notamment en ouvrant sur une alternance de peintures de Vanités anciennes et les photographies de Mat Collishaw, pour se clore sur une des plus belles pièces de l’exposition : Summit (2009) de Kris Martin. J’avoue n’avoir jamais vraiment compris les photos de Collishaw — considérant l’artiste comme un bon photographe mais se noyant dans une virtuosité stérile. Mais leur voisinage direct avec la peinture ancienne parviennent à en tirer le meilleur, quitte à tordre le sens des deux registres (ce qui est finalement ce qu’on est en droit de demander à une bonne exposition). On comprend alors mieux les clair-obscurs, mais surtout le combat du photographe — pour le coup romantiquement beau (parce qu’en échec) — lorsqu’il s’acharne à rendre un réel pictural hérité de la peinture renaissante, malgré tout ce que cette dernière peut comporter de désuet pour le visiteur contemporain. Le tout est formellement unifié par des encadrements quasiment identiques, constitués d’épais cadres de bois brun. Évidemment, cette fugue manquerait d’une conclusion sans Summit (2009) de Kris Martin ; petit bloc de granite surmonté d’une minuscule croix de papier. On est alors face à une économie de moyens quasi totale combinée à une force d’évocation poétique rappelant la force des meilleurs oeuvres de Jason Dodge, comme une méditation sereine sur notre « volonté de puissance » qui n’aurait plus rien de nietzschéenne.

Si ce mur vaut à lui seul la visite de l’exposition, persiste le regret qu’après ce moment de grâce, la suite de l’exposition paraît un peu morne. Par exemple les objets de curiosité, présentés à quelques pas de là dans la même salle (organisée par Georg Laue), prennent un caractère un peu scolaire tant ils miment les gravures bien connues représentant les Wunderkammern d’époque (cf ill. du cabinet de Ferrante Imperato) . Cette petite maladresse est toutefois rattrapée par une sculpture de Kate MccGwire, sorte de tourbillon de plumes qui — pour le coup — nous fait toucher du doigt ce que devait être « l’étrange » pour les amateurs du 16e siècle.

Au delà de l’enthousiasme face à l’ensemble que constitue « Mémoires du futur » certaines pièces méritent également qu’on s’y arrête. Parmi elles, le baisé particulièrement inquiétant de Thomas Lerooy (The Kiss, 2009), Who is the Fairest de Wolfe Von Lenkiewicz (remake pop d’une Tentation de Saint Antoine de Martin Schongauer, c. 1480) où dans le même registre la vidéo d’animation d’Antoine Roegiers qui offre une compréhension inédite des Sept Pêchers Capitaux de Brueghel l’Ancien (1557). Dans un registre plus attendu, Studies to the Past de Laurent Grasso, Sex 1 des frères Chapman (2003) ou Daughter and Mother de John Currin (1997) valent également le coup d’oeil.


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« Mémoires du futur, la collection Olbricht », Paris, la Maison Rouge, du 22 septembre 2011 au 15 janvier 2012. Commissaire d’exposition : Wolfgang Schoppmann (et Georg Laue pour le Wunderkammer).
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Seul grief à porter à Maison Rouge, l’interdiction de prendre des photos de l’expo. Les images ci-dessus ne sont donc pas celles prises dans le contexte de « Mémoires du futur »
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1Thomas Olbricht a fondé le Me Collector Room à Berlin, fondation construite sur le modèle de la Maison Rouge et qui présente une partie de la collection d’Antoine de Galbert jusqu’au 8 janvier.