S’il est une entreprise casse-gueule pour un commissaire d’expo, c’est bien de s’atteler au montage d’une exposition rétrospective ayant pour thème une institution, acrobatie d’autant plus périlleuse lorsqu’il s’agit d’un commissaire-auteur connu pour ses engagement forts dans ses choix curatoriaux.  Malgré son aura, on imagine aisément qu’il fera largement tapisserie, qu’il n’aura probablement que très peu de marges de main-d’œuvre dans le choix des artistes présentés ou des œuvres, voire de la scénographie. D’ailleurs, Guillaume Desanges, le commissaire de « Soudain Déjà« , n’en fait pas mystère tant il prend soin d’amblée de se dédouaner de ce que le visiteur va voir à l’ensba : « Avouons immédiatement que d’un point de vue strictement curatorial, l’exercice est particulièrement délicat, voire piégeant. Comment trouver, à l’échelle d’une exposition, une cohérence au sein de subjectivités artistiques dont le seul lien serait d’être passé par une école ? Comment éviter l’effet compilation ou best of ? Comment éviter le format salon, remise de prix ou kermesse ? Comment créer l’amorce d’un propos qui ne soit par avance fallacieux ou artificiel, à partir d’une telle hétérogénéité[1] ? ». C’est dit ! Faute avouée… faute avouée !

Julien Prévieux, Frequently Asked Questions, 2011.

Premier mensonge du commissaire d’exposition « Chaos contre chaos, en pariant que, dans les deux cas, cette discontinuité exacerbée reste cousue par un fil invisible. ». En lieu et place de ce « fil invisible », le visiteur subit un maillage de ficelles (« les grosses ficelles » de l’expo !) comme autant de traces de stabylos sur un livre emprunté à la bibliothèque. L’idée du commissaire d’exposition : réaliser une frise chronologique des dix dernières années agrémentées de coupures de journaux (Le Monde, Paris Match et le Courrier International) le tout reliés à des œuvres (ou plus exactement à leur cartel) par des fils de couleurs. La frise est surlignée par une bande grise qui parcourt l’ensemble des murs extérieurs de l’expo, poursuivant le visiteur jusque dans l’escalier sous forme de toboggan, hélas non expérimentable en tant que toboggan. Mais bon, va pour la frise chronologique — bien qu’un peu lourdingue dans une ambiance coffee table books de France Loisir type la Chronologie du XXe siècle —, mais pourquoi ces ficelles ? Okay, Duchamp avait fait le coup des ficelles en 1942 (Sixteen Miles of Strings), mais c’était pour empêcher le visiteur de voir l’exposition. Et quand Hirshhorn relie ses photocopies avec des tentacules en papier aluminium, il y va carrément (et surtout ne met des œuvres au milieu). Trop timide ou trop présent, ce maillage alourdit largement une scénographie déjà très présente. Desanges à beau mettre en avant l’aspect expérimental de cette astuce de scénographie, mais rien n’y fait. Si tu nous avais demandé, Guillaume, on t’aurait dit :

— « Guillaume, ton idée est pourrie »

— « non, mais Duchamp et Hirshhorn ont fait des trucs un peu comme ça et ça marchait vachement bien. Et pour une expo de groupe, ça n’a jamais été fait. »

— « Guillaume, pose ce joint et écoute ce dicton quechua qui m’a été délivré par un vieux sage aussi fou d’hirsute, lui aussi ancien élève de l’ensba et grand prix de Rome : « Si tu es le premier à faire un truc, tu as des chances d’être un génie, mais si au bout de quelques temps tu te rends compte que tu es le seul, il y a des chances que tu sois un idiot[2] ! » ».

Cela dit, on ne peut rien enlever à la scénographie qui reste particulièrement soignée — hormis ces ficelles dignes du rôti de porc de ma grand-mère . Et si on était mauvaise langue, on pourrait même dire que c’est ce qui est le plus étonnant dans cette présentation. Il suffit de monter les escaliers et de regarder la scène du haut de l’entresol pour s’en rendre compte. On est face à un étonnant jeu géométrique rappelant certains dessins ou plans d’El Lissitzky. Même si on a du mal à comprendre la présence des caissons lumineux comme faux éclairages, l’espace de l’exposition est séduisant ; probablement pas fait pour être parcouru (mais vu de haut!), mais séduisant.

Un ancien élève des Beaux arts avec qui je visitais « Soudain déjà » me disait que l’Ecole a beaucoup changé depuis son époque, aussi bien du point de vue des moyens (qui lui paraissaient déjà luxueux à la fin des années 1980 !) que de la formation des jeunes artistes (bien plus « opérationnels » aujourd’hui qu’hier, si on en croit la présentation qui en est faite à l’expo). Et c’est vraiment l’impression générale qui se dégage de cette visite. Pas vraiment de découvertes, si ce ne sont les papiers découpés de Noa Giniger ou la vidéo un peu bizarroïde de Bertille Bak, un gros paquet de choses vraiment merdiques clairement orientées vers le marché (c’est là que je ne suis pas d’accord avec Lunettes Rouges) et la confirmation que quelques uns survolent aisément l’ensemble comme Julien Prévieux ou Laurent Grasso.


[1] Guillaume Desanges, Là, quand, brochure de l’exposition, p. 1.

[2] Cette phrase n’est pas de moi, mais je ne sais plus où je l’ai entendue, donc si vous avez les sources (film, livre, etc) n’hésitez pas à me les transmettre.

+++

2001-2011 : Soudain, Déjà, Une exposition proposée par Guillaume Désanges, du 20/10/2011 au 08/01/2012 à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts de Paris.