Ai Weiwei, Etude de perspective : tiananmen, 1995-2003.

Rappelez-vous, le Power 100 d’Art Review nous l’avait annoncé il y a quelques mois : Ai Weiwei est la personnalité la plus importante du monde de l’art pour 2011. La messe est dite ! A tout seigneur, tous honneurs, il était normal qu’un grand musée français lui consacre une exposition.

« Entrelacs » — titre évoquant la « complexité du personnage et sa manière d’être constamment en relation avec le monde » (dixit le communiqué de presse !) — s’ouvre sur une série de photographies rendant compte des bouleversements urbains liés à la construction du stade — le fameux « Nid d’oiseau » — et de l’aéroport de Pékin. L’exposition se distribue ensuite selon deux axes : le premier relatant les années new-yorkaises de l’artiste et le second autour du rapport de l’artiste avec le pouvoir en général. Durant ses années new-yorkaises Weiwei réalise des photos sans grand intérêt de ses amis artistes, la plupart du temps en noir et blanc. Ce n’est que bien plus tard (2009-2010) que l’artiste se mettra à faire des images par téléphone portable (Cell Phone Photographs), photographies à l’intérêt tout aussi relatif. Dans la seconde partie de l’expo, on peut voir quelques uns des travaux qui ont rendu Weiwei célèbre comme Dropping a Han Dynasty Urn (1995), Study of Perspective (1995-2010) ou Fairytale (2007). Si en 2007, on avait pu être intrigué par la portée politique d’une œuvre comme Fairytale — pour laquelle Weiwei était parvenu à faire venir 1001 Chinois pour travailler à Kassel — en revanche, l’accumulation de toutes les actions de l’artiste finit par dévoiler le système Weiwei. Et c’est peut-être sur ce point que l’exposition est assez ambiguë (même si on peut imaginer que si Weiwei avait pu se déplacer pour monter son expo, le résultat aurait été un peu différent).

Ai Weiwei, Dropping a Han Dynasty Urn, 1995.

Pour toute « complexité de l’artiste » on trouve en fait un artiste bégayant face à la complexité du monde. Ai Weiwei semble passer à côté d’à peu près tout, probablement en raison d’un égocentrisme à peine voilé.

Weiwei ne semble pas s’offusquer que d’anciens quartiers pékinois soient rasés aux abords du stade (avec expropriations des anciens habitants à la clé) alors que simultanément il se révolte qu’on exproprie des gens de leurs terres (série des Paysages Provisoires, 2002-2008). Ailleurs, il participe main dans la main avec les autorités chinoises au projet urbanistique du « Nid d’oiseau » tout en faisant fi de ne pas se douter qu’il s’agit avant tout d’une opération de communication du régime de Pékin. Il paraissait évident pour n’importe quel observateur, qu’avec la vague de modernité décrétée autour des Jeux, le régime de Pékin se livrait à une entreprise très balisée de soft power, même si les vieilles habitudes sont vite revenues… Par la suite, Weiwei sera emprisonné pour avoir fouiné, avec tambours et trompettes, du côté de la corruption des fonctionnaires liés à la construction des écoles s’étant effondrées sur les écoliers durant le tremblement de terre de 2008. C’est d’ailleurs l’emprisonnement de l’artiste qui émouvra l’ensemble du monde de l’art, marché de l’art en tête qui — en geste héroïque de soutien (sic) — n’hésitera pas à présenter tous ses Weiwei dans chacune des foires depuis l’incarcération de l’artiste…

Cela en dit long sur les réelles capacités d’un artiste présenté comme un acteur de la critique culturelle. Comment un tel personnage peut-il imaginer collaborer avec un pouvoir non démocratique sans devoir à un moment ou un autre devoir lui rendre des comptes ? Alors même qu’on sait que les journalistes chinois ont toutes les difficultés du monde à enquêter — et que malgré toutes les précautions qu’ils prennent, beaucoup finissent en prison[1]Weiwei débarque benoitement pensant que son label « artiste international » le protègera contre les foudres du régime. La posture de Weiwei relève alors soit de la bêtise, soit de l’absence de culture politique. Pour toute réponse lorsqu’on lui demande les raisons pour lesquelles il a collaboré avec le régime chinois pour l’édification du quartier du « Nid d’oiseau », l’artiste lance : « j’aime créer[2] »… no comment !

Une de Libération consacrée à Ai Weiwei à l'occasion d'Entrelacs.

Finalement, Ai Weiwei fonctionne un peu comme Sarkozy. Il choisit de « gouverner » par coups, son action étant entièrement guidée par le frisson du bruit médiatique. Loin de lui l’idée d’envisager sérieusement toute cohérence dans son propos ou d’adopter une conscience du long terme. Chez Weiwei, le symbole de cette vacuité pourrait être la série Study of Perspective. Ici, l’artiste photographie des monuments et des paysages en brandissant son majeur au premier plan. Si elle paraît potache au premier abord, cette série devient gênante à la longue car elle semble cristalliser le seul discours politique de l’artiste : « fuck off ». Evidemment, ça paraît un peu court pour un artiste qui est présenté comme le chantre de l’art politique actuel. Plus inquiétant alors est l’aveuglement de la presse française en général (à l’exception notable de quelques uns comme Corinne Rondeau qui a relevé les incohérences flagrantes du travail de Weiwei[3] sur France Culture) qui est tombée tête baissée dans le panneau Weiwei. Car évidemment, être emprisonné par un régime totalitaire ne fait pas automatiquement de vous un artiste intéressant. Les prisons chinoises regorgent de prisonniers politiques, pour beaucoup dont l’action est bien plus radicale que les recodages artistiques de Weiwei, et qui mériteraient donc aussi toute l’attention du monde de l’art. Alors, c’est tout de même un peu court de s’offrir une conscience politique en allant faire la queue au Musée du Jeu de Paume pour aller se pâmer à l’expo d’Ai Weiwei !

Ok, c'est un peu malhonnête de ma part car je ne sais pas si l'artiste est réellement à l'origine de ce t-shirt.

[1] Selon l’Human Right Watch, au moins 34 journalistes chinois ont été emprisonnés en 2011 : http://www.lexpress.fr/actualites/1/economie/au-moins-34-journalistes-chinois-emprisonnes-en-2011_1073931.html

[2] On retrouve cette citation dans les explications des œuvres disposées sur les murs du Jeu de Paume…

[3] http://www.franceculture.fr/emission-la-dispute-expositions-ai-weiwei-centre-pompidou-mobile-a-cambrai-jean-dupuy-2012-02-22. On peut aussi citer l’article de Pierre Haski dans Rue 89 — assez carictural et symptomatique de l’ensemble de ce qui a été publié à cette occasion — où on comprend que l’auteur veut défendre Ai Weiwei mais que pour cela il ne peut pas s’appuyer sur les qualités de son œuvre (http://www.rue89.com/rue89-culture/2012/02/20/expo-ai-weiwei-paris-un-doigt-dhonneur-au-pouvoir-chinois-229538).

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« Entrelacs » Ai Weiwei, jusqu’au 29 avril 2012.
1 place de la Concorde
75008 Paris
Mardi de 11h à 21h.
Du mercredi au dimanche
de 11h à 19h.
Fermeture le lundi,
y compris les jours fériés.
Tél. 01 47 03 12 50