
Voilà un titre qui semble, de prime abord, foncer tête baissée dans la doxa de l’artiste romantique occidental : farfelu, à fleur de peau, génial mais inadapté, bordélique mais clairvoyant. Bien heureusement, Les Maitres du désordre propose une toute une approche.
Tout d’abord, la scénographie imaginée par Jakob+MacFarlane est époustouflante à tel point que l’exposition pourrait quasiment se passer des objets parsemés ci et là. C’est vrai qu’on commençait à désespérer face aux expositions « gros malins » (c’est un genre curatorial qu’il conviendrait d’étudier plus précisément!) qui trouvaient très subtile de « remettre en question de white cube moderniste » (comme le dit la formule) au moyen des dispositifs gadgetoïdes transformant les salles d’exposition en shoowroom de strings pour cagoles… justement ce que Jacob+MacFarlane parviennent à éviter.
Les architectes ont conçu un boyau irrégulier dont les parois auraient été modélisées sur un logiciel de 3D pour être ensuite réalisées à la va-vite. La référence à la forme organique de l’architecture se retrouve par ailleurs dans la structuration du parcours de l’expo. Le décor se compose de triangles de plaques de plâtre brutes assemblées sur une structure métallique. Par moments, les cloisons de plâtre s’éclipsent totalement pour laisser place à la structure nue. Les cartels imprimés sur de simples feuilles et grossièrement collées sur les plaques de plâtre apparaissent comme surgissant des interstices. Ça donne un côté Planète des singes à l’exposition, un peu comme quand Charleton Heston découvre la grotte contenant des vestiges de l’ancienne civilisation humaine. Du coup, on pourrait appréhender Les Maître du désordre comme une fiction post-apocalyptique à la fois par sa scénographique, englobante et oppressante, et le choix d’objets hétéroclites sobrement disposés dans l’espace.




Seul grief adressé à l’accrochage, certains espaces sont particulièrement exigus et ne permettent pas de profiter pleinement des pièces, comme ce couloir étroit où est pourtant installé un passionnant wall drawing de Jean-Luc Verna.

Mais si la visite de Maitres du désordre est un réel plaisir grâce à sa scénographie et la qualité des pièces exposées, il n’en demeure pas moins qu’un sentiment d’insatisfaction s’installe dès lors qu’on essaye de comprendre le propos scientifique de l’exposition. Ça semble toujours assez problématique de mêler dans un même espace – et sous un même régime d’équivalence – des objets de culture populaire (pour la plupart extra-occidentaux) et des oeuvres d’art contemporaines. Car comme l’ont montré Robert Goldwater (Le Primitivisme dans l’art moderne) dans les années 1930 et Sally Price (Arts Primitifs, Regards Civilisés et Au Musée des illusions) plus récemment, ce genre d’analogie ne permet de comprendre aucune des cultures pour placer les items dans une compétition formelle sans objet, mais soumis au regard surplombant de l’histoire esthétique de l’occident. Cela est d’autant plus gênant que l’exposition se clôt sur le ton de la bouffonnerie laissant le dernier mot à l’art contemporain avec une pourtant très belle pièce d’Arnaud Labelle-Rojoux, mais dont le propos parait déplacé dans le contexte des Maitres du désordre.

On retrouve d’ailleurs un peu de ce malaise dans la formulation des cartels, même si l’on comprend bien que la rédaction de ces derniers soit un véritable casse-tête dans les expositions transdisciplinaires. Les objets de la sphère occidentale sont désignés par leur origine territoriale, alors que les objets extra-occidentaux sont désignés par « populations » ou « peuplades » et les oeuvres d’art contemporain ne sont situées ni géographiquement, ni culturellement. Si on comprend (et encore!) que, pour l’art contemporain, c’est la globalisation qui sert de contexte culturel, en revanche, on comprend moins bien la différenciation opérée concernant les objets de culture populaire. Dommage que ce parti pris ne soit expliqué nul part… c’est peut-être aussi ici que s’exprime les limites d’une approche avant tout esthétique d’objets culturels au sens large, posture chère aux expositions du Quai Branly.



du 11 avril au 29 juillet 2012Musée du Quai Branly, 37, quai Branly, Paris 7é |
Merci pour l’article! j’aurai aimé y etre!
J’y suis allée aujourd’hui, j’ai beaucoup aimé.