Si on me demandait « quel est le lieu parisien qui présente la meilleure cohérence dans sa programmation », je répondrais sans hésiter : le Bal. Depuis son ouverture, le Bal ne cesse de présenter des photographes dont le travail se situe toujours en léger décalage avec la mode photographique du moment ; qu’il s’agisse de Paul Graham, d’Antoine d’Agata ou actuellement de l’exposition consacrée à Mark Cohen. Autre qualité du lieu, le soin particulier apporté à la scénographie et l’accrochage des pièces (même si l’accrochage « mosaïque » du rez-de-chaussée de l’exposition Mark Cohen est un peu raté !).

Mark Cohen tire son inspiration de Wilkes-Barre, ancienne ville industrielle dont la population a sombré dans la white-trashitude avec la fermeture progressive des toutes les mines et usines des environs. Le photographe aurait alors pu se contenter de clichés misérabilistes dans la lignée de la photographie humaniste ou, à l’opposé, de jouer sur la corde cynique et cruelle en exhibant une population à la dérive. Mais l’artiste n’opte pour aucune de ces alternatives pour produire des images au cadrage faussement approximatif, se réservant le droit de ne jamais se trouver à la bonne distance avec son sujet, dans une soigneuse entreprise de ratage photographique. L’étrange surgit tant la justesse branlante des clichés s’impose au spectateur.
Girl Hides is Face from Flash (1974) est particulièrement belle dans sa force d’évocation. Une jeune fille cache son visage derrière ce qui semble être une planche ou un pylône en bois. Le titre affirme qu’elle se cache du flash, mais c’est plutôt du voyeur du regard duquel elle semble vouloir se soustraire. La position des mains nous ferait presque penser à une partie de cache-cache, à moins qu’elle dissimule son visage pour cacher ses larmes à la caméra. Bref, une image particulièrement énigmatique, dont l’absence de visage ne fait que renforcer l’insupportable absence d’altérité. Je ne serais trop dire pourquoi cette image m’a instantanément fait penser Jeune fille pleurant son oiseau mort de Greuze et surtout aux merveilleuses pages qu’en tire Diderot dans son Salon de 1759…

