Ulla Von Brandenburg
Ulla Von Brandenburg

Il arrive qu’une œuvre d’une apparente simplicité vous bouleverse sincèrement, vous hypnotise à tel point que vous ne vous rendiez pas compte que vous venez de voir ce film trois fois de suite.

Un homme pénètre dans un couloir délimité par deux pans de tissus ajourés, postés dans une prairie. Il croise divers personnages qui ne semblent pas le voir. Intrigué et curieux, il essaye de communiquer avec eux, sans succès. Les personnages chantent a cappella un texte en allemand dont les intonations ne sont pas sans rappeler Nibelungen de Nico. Vous ne comprenez pas l’allemand, ces chants paraissent des incantations. Au bout d’un certain temps, vous réalisez que les acteurs jouent en playback, élément qui ajoute à l’étrangeté de la scène. La caméra engage un jeu de miroir entre le spectateur et l’homme du film, elle le suit à la trace tout en présentant les différents personnages qui entrent dans le champ sans cohérence apparente entre eux. Au bout des 11 minutes que durent Die Straβe [la rue], un seul désire vous hante : renouveler l’expérience, avec cette étrange sensation qui vous installe dans une incertitude flottante, vous n’arrivez pas à trancher : tenter de comprendre ou se laisser porter…

Ulla V

Le communiqué de presse fait référence à Alice au Pays des Merveilles, mais on est confronté à quelque chose de bien plus étrange, une sorte d’uchronie qui nous projette tour à tour dans un 20e siècle quasi pré-moderne et au moyen âge, dans une ville d’un expressionnisme lumineux puis à la campagne, dans la vie et sur scène… Avec Die Straβe, Ulla Von Brandenburg signe un petit bijou ! Cerise sur le gâteau, elle réussit le tour de force d’aménager l’espace du rêve sans avoir recours au pathos habituellement associé à ce genre d’évocations[1].

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[1]

On sera moins convaincu par la scénographie de l’exposition qui n’est pas au niveau du film. Les pans de tissus tendus dans l’espace de la galerie ne parviennent pas à provoquer l’inutile immersion du spectateur (mais est-il besoin de cette immersion avec un film aussi fort ?). Plus généralement, il y aurait matière à s’interroger sur la mode actuelle qui consiste à présenter des morceaux d’un « projet » en même temps que l’œuvre achevée, comme si l’art ne pouvait se justifier que par son making off !