
L’info me paraissait énorme, si bien que j’avais d’abord cru à un canular grolandais. Mais quand les images ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux, j’ai pris la chose au sérieux. J’ai alors demandé confirmation aux quelques amis qui — contrairement à moi — se sont rendus à l’édition 2014 de la FIAC (Foire Internationale d’Art Contemporain). Oui, c’est authentique, certains stands de la Foire (comme celui de la galerie Karsten Greve) étaient enclos par des chaines, cordon de sécurité anti-pauvre destiné à assurer la quiétude des VIP. Tant pis pour les gros ploucs qui ont payé 40 euros pour visiter la foire !
Tout le paradoxe de la FIAC est qu’elle cherche à devenir une grosse foire commerciale où le fric coule à flot sur le modèle de ses grandes sœurs américaines, britanniques ou allemandes (ce qui n’est pas blâmable en soit !). Comme en France, la sélection passe soit par l’héritage soit par le fric (et souvent les deux !), la stratégie a été de multiplier par deux les tarifs d’entrée à la foire en quelques années. Mais ça ne marchait toujours pas. Il y avait toujours des gogos qui payaient le prix fort — voire qui faisaient la queue — pour partager ce qu’ils pensaient être leur amour de l’art. Alors, il y a eu des « espaces VIP », puis des visites et des journées « VIP » avec différents degrés de viaïpitude, puis des soirées, etc. bref tout un dispositif pour faire comprendre aux investisseurs qu’ils sont importants et aux autres qu’ils sont indésirables. Mais c’est à croire que la plèbe adore l’humiliation : elle continue de venir.
Pour être tranquillement entre soi, la solution la plus rationnelle aurait été de privatiser cette foire, c’est-à-dire d’établir qu’il s’agit d’une foire professionnelle (ce qu’elle est) et que seuls les professionnels pourraient entrer comme c’est le cas dans bien des secteurs. Mais on ne sait pour quelle raison, ça n’a jamais été fait. Ou plus exactement, on la devine : pour que la foire ait une bonne réputation auprès des investisseurs acheteurs, il faut que la presse en parle. Si c’est totalement privé, personne n’en parlera, car ça n’intéressera pas les lecteurs qu’on leur parle de quelque chose dont ils sont, de fait, exclus (ce qui est à moitié vrai, car les gens adorent qu’on leur parle de bagnoles ou de voyages chers qu’ils ne pourront jamais se payer, par exemple). Alors on fait payer l’entrée (cher) pour que tout le monde puisse venir, ce qui permet à la presse d’en parler et de transformer la FIAC en événement « populaire » (en terme de nombre d’entrées, s’entend !) ; et, pour Reed Exposition, de gagner du fric avec la location des stands et avec le public de badauds (après tout, quitte à supporter les « sans dents », autant les saigner à blanc)…
En temps normal, je me moque du marché de l’art que je considère — surement un peu naïvement — comme une donnée secondaire dans la compréhension des œuvres. Car le « marché » occupe déjà une place trop importante dans les commentaires de l’actualité de l’art. Dans la presse généraliste ou à la télévision, l’angle d’approche de l’art est toujours le prix des œuvres (les « records ») quand il ne s’agit pas de scandale (où on finit par donner le prix des œuvres comme une cerise sur le gâteau). Quand on parle de musées ou d’expositions, on s’empresse à commenter leurs chiffres de fréquentation, ce qui revient à causer caillasse et jamais des oeuvres. Ceci est d’autant plus frustrant que c’est toujours du petit pourcentage des artistes-planche-à-billet (mais aussi des galeristes et des méga-collectionneurs) dont on parle en oubliant tout le reste qui est bien plus passionnant. La plupart des artistes que je rencontre ne roulent pas sur l’or ce qui ne les empêche pas de produire des choses géniales. Idem pour les collectionneurs qui aiment sincèrement ce qu’ils achètent et ne pensent que rarement en termes de « placement » (même si beaucoup se rassurent en parlant de « bonnes affaires », mais je pense que cette touchante attitude a pour but de se déculpabiliser de dépenser autant d’argent dans quelque chose que beaucoup pensent futile…). Bref la bêtise crasse que représentent la FIAC et certains de ses participants — parvenue à son acmé avec ces hideuses et vulgaires chaines autour de certains stands — ne fait que me conforter dans le mépris que j’ai pour ces crétins endogames fiers d’eux même. Une attitude rationnelle serait probablement d’aller à la FIAC armés de carabines à plombs, de se poster de l’autre côté des chaines et de tirer du riche comme les ballons à la fête foraine (encore un loisir de pauvre, tien !). N’oublions pas qu’il existe une ribambelle d’autres foires parisiennes moins « viaïpies » et plus fraiches dans lesquelles on reste surpris, étonné, où on fait des découvertes comme c’est souvent le cas notamment avec YIA ou Drawing Now.
épilogue (27 oct, 13h30)
Suite à ce post, plusieurs personnes proches de la FIAC m’informent que les chaines étaient en réalité faites pour protéger des œuvres fragiles de l’affluence de la foire, dont acte. Même si on peut comprendre ce « geste », je ne peu m’empêcher de penser qu’il existe toute une flopée de dispositifs d’exposition moins connotés et plus élégants que les chaines et tout aussi efficaces pour protéger des œuvres fragiles (cf. ce qui se passe dans les salons d’antiquaires) ! Cela ne change donc pas fondamentalement l’impression que certaines galeries portent plus attention à la valeur financière des œuvres qu’elles présentent qu’à leur exposition en adéquation avec ce qu’elles ont à nous dire du monde (une chaîne blanche devant un Soulages, c’est quand même dur!)…
Très bon blog.
Sur les chaînes, je pense également que c’était davantage pour contrôler l’influence. Personnellement j’ai failli marcher sur un certain nombre d’oeuvres au sol.
On est clairement dans des oeuvres du marché spéculatif de l’art, donc c’est très particulier. Je regrette toutefois que certain galeristes ne connaissent rien à la démarche des artistes présentés. Heureusement, quelques’uns se montraient disponible et enclin à parler d’art et de démarche artistique.