A une époque du conformisme de la presse, on ne peut qu’être fasciné par Planète, revue née de l’imagination de Louis Pauwels et Jacques Bergier dans le prolongement de l’étonnant succès de Matin des Magiciens. Au début des années 1960, le new age n’avait pas encore produit toute l’idiote littérature de « développement personnel ». Les farfelus de l’époque bricolent avec les vestiges des récits d’émancipation technologiques modernistes et la résurgence d’une méfiance face aux récits officiels avec une affection particulière pour l’ésotérisme fin de siècle. Tout comme Le Matin des Magiciens, la revue Planète participe de cette mouvance teintée d’occultisme vue par le prisme parfois un peu sclérosant du surréalisme. Mais l’énergie est là pour les deux compères qui initient ce qu’ils appelleront le « réalisme magique ». Les colonnes de Planète s’ouvrent alors à toutes sortes de sujets avec une grande variété d’auteurs : on peut par exemple y voir se côtoyer un article de Pierre Restany sur le nouveau réalisme ou sur l’art actuel, une nouvelle d’Arthur C. Clark, d’Henlein ou de Lovecraft, des articles sur l’ésotérisme ou l’ethnologie, etc. Le tout est servi par une iconographie étonnante, une maquette reconnaissable (due à Pierre Chapelot) et un format carré très caractéristique rappelant celui des disques 45 tours. Malgré l’a priori un peu foutraque que pourrait induire une telle description, Planète était une revue parfaitement cohérente et relativement sérieuse. Bref, Planète avait tout pour devenir une revue « culte » ; il était même étonnant que l’art contemporain ne s’en fût pas encore emparé…
L’exposition « Un autre monde (((dans notre monde))) » à la Galerie Agnès b entend interroger la pérennité des thèmes de Planète à travers l’art contemporain. La première chose qui saute aux yeux est l’aspect bordélique de l’accrochage : les œuvres sont très proches les unes des autres si bien que parfois on a à peine la place de circuler, rarement de prendre du recul. Pour le coup, on est bien loin de la maquette élégante de la revue de Bergier et Pauwels ! Évidemment, on n’échappe pas aux œuvres ressemblant à de mauvais Grasso (des dispositifs assez vains sensés faire revivre des expériences de « science amusante » en plus prétentieux) et aux pièces relevant du constat un peu idiot ou composé d’agencement d’« archives » trouvées sur les premières pages de google (« ouha, si on met deux images côte à côte sur un walldrawing, ben ça crée un récit… »). Enfin, dernier ratage, la reconstitution des bureaux de Bergier et Pauwels hésitant entre un décor des films de la Hammer et une mise en scène un peu cheap d’un musée d’arts et traditions populaires des années 1970. Et pourtant, dans la même salle, des vitrines présentent des documents d’époques très intéressants (hélas aussi présentés sur le mode du faux désordre…).


Au-delà des maladresses et des pièces sans intérêt, « Un autre monde (((dans notre monde))) » propose des pièces étonnantes comme les concrétions de Yoan Beliard (Objets Reminescents). Ici, l’artiste met en scène des bibelots-souvenirs qu’il a laissé se faire recouvrir d’eau de ruissellement à la manière des stalagmites. Lovées dans leurs cristaux, ces formes kitschs prennent alors un statut particulier, celui de fétiches vénérés et abandonnés dans des grottes dont on imagine les cultes primitifs. Yoan Beliard parvient à organiser une mise en scène tendue entre le kitsch et le sacré, jamais moqueur.


Au sous-sol, un film de Jim Shaw met en scène un groupe de zombies perdu dans un espace sans décor. Non loin de là, une vidéo de Corey McCorkle pose en atmosphère de films d’horreur intello des années 1980, productions qui elles-mêmes s’inspiraient — avec un regard certes surplombant — des films d’exploitation des années 1950-1960. Si au premier abord, ça ressemble un peu à un clip de Nick Cave, on se laisse prendre par l’atmosphère brumeuse du film.


Le mur réalisé par le Musée de l’invisible de Lacoue autour du Manifeste de l’arbre est sans doute la pièce la plus captivante de l’exposition. Ici, plusieurs œuvres sont agencées sur un mur formant une sorte de cheminent visuel. Si le projet du Manifeste de l’arbre parait vaporeux — du moins tel qu’il est expliqué dans l’exposition —, l’accrochage qui lui est lié permet de comprendre quel type d’air de famille tentent d’organiser ses commissaires. Même si l’accrochage est un peu littéral (« on parle du Manifeste de l’arbre, alors on dessine un gros tronc sur le mur… »), les œuvres — pourtant inégales — s’y côtoient afin de servir un propos touffu. Et c’est peut-être sur ce point qu’on retrouve le noyau de ce qui constituait Planète : un regroupement d’artistes et d’auteurs d’horizons divers développant des obsessions propres, mais partageant un « air de famille ». On regrettera seulement que ce principe à l’œuvre autour du Manifeste de l’arbre ne se cantonne qu’à un mur de l’exposition.
