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J’ai récemment vu réapparaître sur facebook une chronique de La Dispute, émission de France culture animée par Arnaud Laporte. Sous le titre « Que vont devenir les petites écoles d’art ? », Lucile Commeaux décrit le sort inquiétant réservé aux petites écoles d’art dont les dotations fondent, menant certaines à fermer leurs portes (Perpignan, Avignon,…).

Arnaud Laporte lance alors à ses chroniqueurs : « l’heure est grave ! ». Yasmine Youssi de nuancer en commençant par dire qu’il serait temps de tout repenser concernant les écoles d’art. On s’attend alors à ce que la journaliste remette en cause la réforme des EPCC, l’adossement inepte des écoles d’art aux programmes de recherches universitaires, le fait que les écoles d’art forment certes des artistes, mais aussi des acteurs culturels locaux, etc.

Niet ! La journaliste enchaîne : « qu’est-ce qu’on veut faire d’une école d’art ? ». La réponse à sa propre question ne se fait pas attendre : « Est-ce que c’est pour donner du travail à des artistes qui ne percent pas ? Est-ce que c’est pour faire de la garderie en faisant croire que tout le monde est artiste, ou est-ce que c’est vraiment [elle appuie sur le « vraiment » comme pour montrer qu’elle ne croit pas à cette option] offrir une formation digne de ce nom ? ».

Lucile Commeaux — qui contrairement à Yasmine Youssi maîtrise son sujet — tente de rétablir les choses en rappelant que les écoles d’art ne sont pas seulement destinées à former des artistes. Commeaux rappelle que trois ans après leur sortie des petites écoles d’art, 8 étudiants sur 10 ont trouvé un emploi, dont 7 dans le secteur pour lequel ils ont été formés (ce qui est, par exemple, un taux supérieur à celui des écoles de journalisme !). Harry Bellet décrit alors la situation des écoles d’art financées par les collectivités locales en disant que ce n’est pas aux contribuables de payer pour les écoles d’art, surtout dans les territoires où il y a beaucoup de chômage (!!!)… Et de reprendre la pseudo question de Youssi « Est-ce qu’il s’agit de donner du travail aux artistes incompétents ? ». Lucile Commeaux visiblement atterrée par ce qu’elle entend, revient à la charge pour tenter de recentrer les Bouvard et Pécuchet de France Culture sur la réalité des petites écoles d’art notamment en rappelant les budgets alloués à ces structures. Mais Youssi, qui a l’habitude de penser comme un communiqué de presse, ne semble pas comprendre les arguments de Commeaux. Youssi remet le couvert en affirmant d’un air agacé « C’est quand même bizarre ! On est censé être le pays de la culture et c’est un enseignement qui bloque à tous les niveaux… » Sentant le dérapage, le présentateur Arnaud Laporte interrompt Youssi au milieu de son monologue pour donner la parole à Harry Bellet. Ce dernier — se rendant probablement compte de la grosse bêtise qu’il a lancé quelques secondes auparavant — se rabroue en disant qu’il y a tout de même un certain nombre de gens talentueux dans les écoles d’arts.

Contrairement à la doxa, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de « repenser les écoles d’art », question tarte à la crème dont le principal intérêt est d’occuper quelques agents placardisées au Ministère de la culture. Sur ce point, les écoles d’art se débrouillent très bien. Jusqu’alors, ces « petites écoles d’art » sont relativement épargnées par le jacobinisme et la bêtise bureaucratique. Ce sont des lieux où des formes pédagogiques s’inventent de manière relativement indépendante. Des lieux où les enseignants cherchent, certes à former des artistes, mais aussi s’interrogent continuellement leur pédagogie, sur le devenir de leurs étudiants, et agissent en ce sens en les faisant participer au monde de l’art.

Contrairement à ce que sous-entendent Youssi et Bellet, les artistes qui enseignent dans les petites écoles d’art ne débarquent pas de nulle part. Lorsqu’un poste d’une petite école d’art est mis au concours, c’est entre 50 et 100 dossiers qui sont reçus. Inutile de dire que les écoles ont l’embarras du choix ! La concurrence y est de plus en plus rude, et seuls les plus « compétents » sont retenus. L’argument consistant à dire que les enseignants des écoles d’art sont des ramassis d’artistes ratés ne tient pas dès lors qu’on regarde la situation actuelle et non celle des académies à la fin du 19e siècle (et encore, s’agissait-il d’artistes purement académiques participant à un certain marché de l’art conservateur qui se portait plutôt bien !). Tout cela, les Bouvard et Pécuchet de France culture ne le savent pas occupés qu’ils sont à recopier les communiqués de presse (Youssi est journaliste culturel au Journal du Dimanche et à la Tribune, hauts lieux du débat intellectuel et de la pensée comme chacun sait* !) et à participer à de coûteux voyages de presse (dont certains sont payés par le contribuable ! non sans déc’) organisés pour qu’ils écrivent des articles prémâchés, textes parfois même publiés avant leur escapade[1].

Ce qui est désolant est que ce discours condescendant, étayé par aucun argument sérieux, soit relayé sur France culture (station payée par le contribuable ! non sans déc’). Leur discours digne du café du commerce n’a rien à envier aux programmes populistes de droite ou de gauche, tous d’accord pour « flinguer du bobo » (qu’on peut traduire par « artiste », « intellectuel précaire », « prof », etc.) ; engeance floue tenue responsable de la gabegie budgétaire du fait de leur élitisme. Révélateur à plus d’un titre de la stupidité des discours médiatiques légitimés — on imagine ce que ces individus disent en privé sur ces mêmes sujets… —, ces journalistes culturels, lovés dans leur diatribe grand-seigneur, sont les idiots utiles du populisme.

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*Yasmine Youssi est également journaliste à Télérama.

[1] Le peu de voyages de presse que j’ai fait dans ma carrière de critique d’art m’en a à chaque fois donné la confirmation (au-delà de la ruée sur le buffet de petits fours, lieu mondain où s’échangent les ragots du monde de l’art, devenu le réel cœur de métier de ces acteurs pathétiques se foutant totalement des œuvres qu’on leur montre). Encore récemment, alors qu’une chargée de communication d’un centre d’art tâtait le terrain pour savoir si nous allions écrire un article sur l’exposition que nous venions de voir, l’un des journalistes déclara sans ironie que sont papier était déjà paru…

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