tanneries21

Voilà un titre pour le moins ambitieux ! Imaginez : tenter de retracer une histoire des formes contemporaines avec une cinquantaine d’œuvres pour la plupart relavant de la forme tableau. Le pari parait absurde, voire mégalomane ; et pourtant, « histoire des formes » explore des pistes pour le moins étonnantes.

Au premier abord, l’affaire parait bien formaliste ; la plupart des œuvres présentées relevant de l’abstraction. Sur le papier, « histoire des formes » apparaît comme une exposition assez classique, mémère, peu engageante. Mais son commissaire Éric Degoutte parvient malicieusement à introduire dans ce récit quasi-greenbergien un certain trouble.

Premier indice, la vidéo de Ivan Argote où l’artiste bombe deux toiles de Mondrian au centre Pompidou (Retouche, 2008). La pièce d’Argote parait d’autant plus ironique qu’elle est encadrée par une série de toiles de Vera Molnar qui ouvrent l’exposition. D’un côté une œuvre assimilable à l’orthodoxie de l’abstraction géométrique dont Mondrian est un des inspirateurs ; de l’autre, le jeune artiste rageur qui vient barrer cette généalogie… Dès lors, il est possible de lire « histoire des formes » comme un accrochage cherchant des complicités et des tensions entre les œuvres.

Non loin de là, les superbes toiles de Maude Maris permettent aux visiteurs de rebattre les cartes de son appréhension de l’abstraction en se jouant des formes et des échelles, mais aussi des textures et des matières. Avant, le visiteur avait croisé des chaises de Donald Judd (Wood Furnitures, 1991) précédé de son commentaire « purement informatif » par Iain et Ingrid Baxter (N.E. Things and Co, Art Certification #91, Donald Judd Untitled, 1968). Autre dialogue passionnant entre les œuvres de Anna-Eva Bergman et Claire Chesnier : l’une présentant des grandes peintures puissantes et froides mêlées de métal et de l’autre des œuvres sur papier où l’encre posée au sein de formes anguleuses vient iriser la surface. Car les œuvres Chesnier sont à regarder de près pour que se révèlent les détails qui transforment ces dégradés massifs en subtils drapés. Les toiles d’Anna-Eva Bergman imposent par leur stature et l’emploi du métal qui renvoie à une certaine froideur, mais les formes mi-géométriques mi-organiques brouillent ces catégories…

Claire Chesnier, ccciii, 2015.
Claire Chesnier, ccciii, 2015.
Anna-Eva Bergman
Anna-Eva Bergman, N°18-1976 Montagne rouge Acrylique et feuille de métal sur toile 180 X 180 cm

« histoire des formes » s’impose comme une exposition finalement beaucoup moins affirmative que ce que son titre laissait supposer. Généreuse, ce genre d’exposition est une bouffée d’air frais à l’heure où les questionnements sur la peinture semblent parfois rejouer ad nauseam les combats modernistes.

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« Histoire de la forme », Les Tanneries, 24 septembre- 12 mars 2016, Amillly (Loiret)

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Épilogue (petit éloge du courage en matière de politique culturelle locale)

Je suis tombé un peu par hasard sur les Tanneries en allant rendre visite à mes parents qui résident dans les environs. Compte tenu de la qualité de ses expositions, on ne peut que s’étonner du silence médiatique dont « jouit » les Tanneries (ok, ils n’ont peut-être pas les thunes pour se payer des encarts dans la presse spécialisée, mais vous foutez quoi les collègues !). Au-delà d’« Histoire de la forme », il faut saluer le courage politique des initiateurs du projet de la Tannerie (associations et élus) : ouvrir un lieu d’art — qui plus est consacré à un art contemporain exigeant — relève aujourd’hui de la prouesse. À l’heure où l’ambiance est à la fermeture des centres d’art et à la mise en péril des écoles d’art, les Tanneries propose un espace vaste et ambitieux aux antipodes de la démagogie et du populisme qui semblent aujourd’hui de mise. Un centre d’art à suivre donc, tant les résistants au conservatisme et à la médiocrité sont à chercher du côté d’Amilly.