Jeune creation 67
Jeune creation 67, juillet 2017 Galerie Thaddaeus Ropac, Pantin.

La particularité du Salon de la Jeune création — au-delà de sa longévité — est que la sélection des artistes est réalisée par un jury collégial d’artistes exposés les années précédentes. En l’absence de commissaires d’expositions et de critiques d’art dans la prise de décision, on peut penser que la sélection puisse offrir quelques surprises. Même si on n’échappe pas à quelques scories de l’époque (notamment concernant la peinture ou la photographie modasse), globalement, on reste surpris par certaines pièces décalées et donc excitantes[1]. Seul bémol : les textes souvent creux et potentiellement interchangeables qui accompagnent les pièces des artistes et qui n’expliquent rien ni de la démarche des artistes, ni des pièces présentées. Si on est hélas habitué à ce type de globiboulga dans les communiqués de presse ou sur les cartels de certaines expositions, ça devient vraiment dommageable dès lors qu’on présente de jeunes artistes peu connus et pour qui tout le travail de médiation reste à faire. Reste que dans l’ensemble la scénographie est élégante (et évite surtout l’effet « box de foire » ou « expo des diplômés » comme cela était le cas à Montrouge) malgré la profusion des pièces présentées dans un espace relativement restreint.

Les coups de cœur

Première belle découverte du Salon : le dessin monumental de Quentin Spohn tracé à la pierre noire sur toile. Même si ça ne fait pas tout, la maîtrise technique de l’artiste rend ses dessins d’une complexité étonnante de près comme de loin. Rarement des dessins de ce format réussissent la prouesse de ne pas se donner immédiatement. Où qu’on soit, on est happé par ces circonvolutions graphiques qui interdisent de poser le regard et entraînent vers une forme particulière de vertige purement rétinien. Ici, nul effet de manche comme c’est souvent le cas dans le dessin contemporain, mais du brutal et de l’intelligence dans la composition. Evidemment, on pense à Dado en butant sur cette débauche de formes et de corps difformes, mais probablement que l’univers de Quentin Spohn est davantage à chercher du côté des textes oppressants d’un Serge Brussolo (période Procédure d’évacuation immédiate des musées), d’un J. G. Ballard ou des bédés horrifiques de Robert Corben, voire parfois du côté de l’énergie d’un Peter Saul. Quentin Spohn parvient à mobiliser l’imaginaire et la culture science-fictive tout en disciplinant le trait charbonneux de cette vapeur moite, grasse et bruyante : une réussite.

Quentin Spohn
Quentin Spohn
Quentin Spohn
Quentin Spohn (détail)

Dans un tout autre registre, le collectif Salut c’est cool propose une installation interactive. Sous ce nom désinvolte, se cache une installation très calée et assez fine. Ici, l’interactivité ne se joue par sur le mode technicien, mais plutôt sur celui d’un bricolage élégant. Le spectateur est invité à prendre un aimant recouvert d’une sorte de pâte à modeler à l’aspect de sucre d’orge. On est alors invité à promener l’aimant sur des objets recouverts de bobines de cuivre. On hésite, on joue, en tend l’oreille, on vibre à l’unisson d’un carton de pizza…

salut c'est cool
salut c’est cool

salut cest cool

Pièce quelque un peu énigmatique que ces trois grandes oreilles en bois signées Maxime Thoreau. Au premier abord, on pense à une version démesurée d’instruments scientifiques du 19e siècle dans la veine de ce qu’a pu faire Laurent Grasso. Mais aucun son ne semble en sortir. Puis on se rend compte qu’il est uniquement question de sculpture et de la confusion qu’il peut parfois exister entre art, design et science sans en être tout à faire certain. La sculpture est là, posée devant nous, dans sa pure présence comme une relecture de la sculpture moderniste.

Thoreau
Maxime Thoreau

Félix Ramon pratique une forme d’art politique particulièrement rare. Là où dans les grandes biennales d’art contemporain, on croule sous les pièces brassant du bon sentiment nappé de charité judéo chrétienne si bien chantée par Brel dans La Dame patronnesse,  Félix Ramon propose une réflexion extrêmement fine sur ce qu’il est possible de faire collectivement. Prenant le problème sous l’angle de la fable animalière, l’artiste met en scène un castor qui tente d’expliquer, face caméra, les difficultés de l’agir collectif. Le castor parle, mais contrairement aux personnages de Disney, il s’exprime en espéranto, langue utopique par excellence qui rêvait une entente globale et horizontale entre les peuples. « On pourrait faire comme si on était des castors » comprend-t-on à demi-mot. On sent que le rongeur se donne du mal, cherche des solutions pour le groupe. Refusant le TINA (There is no alternative)[2] ultralibéral , il forge des concepts, ébauche des solutions et refuse le fatalisme capitaliste. Devant la vidéo, trône un échafaudage de bois qu’on imagine être le fruit de cet agir collectif. De-ci de-là, on lit des petites phrases renvoyant à des questionnements politiques ou simplement à des blagues, inscrites à la va-vite sur les rondins. Au pied de la structure, des pièces de kapla sont amoncelées comme signe d’une nature domestiquée et rationalisée (le rondin transformé en briquettes agençables). L’artiste y voit une référence aux pédagogies alternatives qui utilisent ce jeu pour favoriser la créativité chez les enfants, mais on ne peut s’empêcher d’y voir une certaine forme d’échec d’une planification raisonnable qui s’oppose à l’échafaudage bricolé — qui lui — tient debout. Dès lors le salut serait-il dans la robinsonnade ? Sous couvert d’humour — sans cynisme ni ironie — Félix Ramon parvient à renouveler les modalités d’un Contrat social dont l’absence de séduction cosmétique a rendu l’élaboration ennuyeuse pour nos contemporains. Et c’est justement avec ce genre de pièce qu’on comprend tout l’intérêt d’un salon comme celui de la Jeune création qui permet à des artistes au propos complexe et relativement hors cadre de montrer leurs œuvres.

Felix Ramon Castor
Félix Ramon (détail)
Felix Ramon Castor 2
Félix Ramon

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[1] Pour éviter le copinage, je ne parlerai pas des pièces de Lucy Watts que je connais depuis un certain temps, dont j’apprécie le travail et que j’exposerai en novembre 2017 à la Galerie 65 de l’ESADHaR au Havre.

[2] On pourrait traduire TINA par « il n’y a pas de plan B », rengaine que ne manquent pas de servir les conservateurs dès qu’on essaye de penser politiquement le monde en dehors des cadres tracés par le libéralisme économique  qu’il s’agisse de la construction européenne, de la solidarité, de l’école ou du nucléaire.