DurhamDans un récent article du Monde, la critique d’art Roxana Azimi relate la polémique qui entoure la rétrospective consacrée à Jimmie Durham au Walker Art Center de Minneapolis. Cette polémique orchestrée par America Meredith (une artiste qui se présente comme suédo-cherokee) reproche à Jimmie Durham d’instrumentaliser la culture Cherokee et d’en donner une grossière caricature destinée à se faire mousser dans le monde de l’art international. Un de ses arguments est notamment que Jimmie Durham ne serait pas authentiquement cherokee ce qui l’engagerait — pour résumer le propos de Meredith — du coté d’un art insincère, s’accaparant une culture vers une manipulation malhonnête. A lire la prose de Meredith dans l’article publiée par Artnet, on comprend que son approche de l’art est ancrée au sein d’une communauté ethnique et que l’authenticité consiste à coller au plus près de cette identité (ou du moins aux représentations qu’elle en a). Au delà du vieux débat de savoir si l’art doit être politique au sens de la polis ou se confiner à l’illustration du politique (Benjamin), cette pseudo polémique qui voudrait s’ériger en débat en dit long sur les fantasmes d’un art folkloriste, emprunt d’un pureté sur-racisée contre un pluralisme aussi complexe que fécond que tentent de mettre en œuvre nombre d’artistes travaillant autour des identité (en gros de Marcel Broodthaers à Mounir Fatmi).

Ce que montrent ces attaques est surtout que les sombres crétins existent dans toutes les communautés. Jimmie Durham est un artiste passionnant justement parce que ses œuvres ne regardent pas seulement les cherokees, mais s’intéressent à des choses plus universelles et plus poétiques, même si elles partent parfois d’une iconographie ou de mythes amérindiens (Durham a fait un certain nombre d’œuvres qui ont peu de rapport direct avec l’identité native). Bien que je ne l’ai jamais rencontré, j’ai écris pas mal de textes sur Durham et je me fous de savoir quel pourcentage de ses gènes sont Cherokee. Lui-même, aussi bien dans ses textes que dans ses œuvres, ne manque pas de tourner en dérision cette identité comme il le fait d’ailleurs avec les identités « eurasiennes » (terme utilisé par Durham). Et je ne peux m’empêcher de voir ces titillements comme des preuves d’attention. Durham peut se permettre ce regard critique car son œuvre n’est jamais une illustration stérile et conservatrice de « l’indien » comme certains — en Amérique du nord — voudraient qu’il existe un art autochtone folkloriste (comme on l’entend aussi d’un art africain, caribéen, islamique, etc.). Bref, assigner les individus à une identité unique entre nécessairement en conflit avec le pluralisme assumé et complexe dont fait preuve Durham dans ses œuvres.

Quel est alors le problème avec ces histoires d’authenticité ? Ça parait assez clair : ce type d’attaque renvoie à un idéal de la pureté ethnique lié à une forme funeste et nauséabond de déterminisme racial (et non culturel). Un cherokee devrait faire tel type d’art, un sénégalais tel autre, un marocain encore un autre… mais surtout ne pas partager le territoire d’un art plus global (donc impur), ne pas assumer son métissage et rester dans une « tradition ». Et on voit bien la manière dont cela s’articule pour l’art contemporain amérindien qu’America Meredith appelle de ses vœux et auquel elle participe (cf. son blog ). Ce monde de l’art « authentique » a ses colloques, ses expositions, sa littérature, etc., et rien de neuf n’en sort jamais que ce que peu produire l’onanisme consanguin de l’entre soi. Est-il nécessaire d’être andalou pour jouer sincèrement du flamenco ? Être alsacien pour cuisiner une bonne choucroute ? Ou être normand pour être sincèrement alcoolique[1] ? Assigner un individu à son origine réelle ou fantasmée (car une « origine » est toujours fantasmée, car comme dit le dicton : « maman c’est sur, papa : peut-être » !), c’est refuser à chacun de s’autodéterminer, de forger son identité de manières plurielle et singulière. Alors on imagine bien quel genre d’art de niche pourrait engendrer le type de vision étriquée que prône America Meredith : pour les « petites » nations, ça sera un « art de réserve » facilement transformable en poster ou en t-shirt ; pour les « grandes » nations, un art national exultant la pureté du génie national et la glorieuse patrie. Ce genre de connerie a déjà été tenté et je ne suis pas volontaire pour remettre le couvert !

Maxence Alcalde

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[1] Je dis ça d’autant plus facilement que né en Normandie d’un père andalou et d’une mère parisienne dont la famille provient de l’est de la France.

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