Walker Evans, Femme de Fermier, 1936.
Walker Evans, Femme de Fermier, 1936.

Tout le monde connait Walker Evans (1903-1975), ou plus exactement, tout le monde connait le type d’image qu’a produit Walker Evans . On les a vues au cinéma, chez les autres photographes, dans la mode, dans la pub, dans les séries télé, etc. Et c’est probablement pour cela que la rétrospective du photographe américain au Centre Pompidou relève d’une forme de déception.

C’est un peu comme la première fois où j’ai lu un livre de Roland Barthes. A la fin des années 1990 —  j’étais alors étudiant à Paris 8 — certains profs qui avaient une quinzaine d’année de plus que nous parlaient de Barthes comme d’une sorte de génie, un type capable de décrypter le monde moderne et d’en donner des clés de lectures éclairantes.  Je m’étais déjà fait avoir avec Guy Debord (conseillé par un ami également plus âgé) que j’avais jugé sans d’intérêt, mais je tente le coup. J’achète Mythologies (on m’avait dit « commence par Mythologies », ce qui ne manque pas de tragique !) et je m’y plonge. Même sensation qu’avec Debord : je ne vois pas ce qu’il y a de formidable là dedans, j’ai l’impression de lire des choses que je sais déjà ; bref pas l’étonnement promis.

Quelques années plus tard, Beaubourg organise une exposition consacrée à Roland Barthes. Je vais la voir et discute avec un ami au sujet de cet expo et surtout de la figure de Barthes (entre temps, j’avais lu plusieurs autres textes de Barthes sans avoir l’impression d’en tirer grand-chose). Je fais part à cet ami (aussi âgé d’une dizaine d’années de plus que moi) de mon incompréhension de l’intérêt porté à cet auteur qui me parait raconter des choses assez banales et anecdotiques et dont les analyses me semblaient un peu légères (à l’époque, la lecture de La Chambre claire m’avait laissé pantois d’interrogations sur la fortune critique de ce livre). Il me raconte que pour beaucoup de ses amis qui ont fait les Beaux-Arts avec lui au début des années 90, la lecture de Barthes avait été quelque chose de stimulant. Au fil de la conversation, je me rends compte, qu’en fait, la structure de la pensée de Barthes (comme celle de Debord) a tellement infusé les industries culturelles — et été reprises par la communication, la presse et la pub — qu’elle est devenue un lieu commun (ce qui par ailleurs m’a fait prendre conscience qu’une lecture est toujours anachronique). C’était donc une raison pour laquelle j’avais du mal à voir un intérêt à la lecture de Barthes ou à celle de Debord : ces textes étaient devenus clair au lieu d’êtres clairvoyants (ce qu’ils étaient pour la/les générations avant la mienne). Et c’est — badaboum — à peu de choses près ce qui s’est produit avec la rétrospective Walker Evans : des images hyper connues, hyper médiatisées, hyper délayées dans les industries culturelles, devenues banales, voire aussi vulgaires qu’une boutique Yellow Corner.

Il faut dire que l’aspect Yellow Corner de la présentation est accentué par une scénographie crétine qui reproduit des images d’Evans en poster géant marouflés sur les murs par-dessus lesquels ont accroche d’autres photos encadrées (« visiteur, t’es tellement con que pour bien te faire comprendre qu’on parle de la collection d’objets ayant appartenu à Evans, on te met (en plus du cartel) le poster géant de son salon et puis on te dispose les machins de la même manière dans l’expo »).

walker EVANS beaubourg
Collection d’objets populaires de Walker Evans avec poster géant et…
walker evans CP
… Walker à la plage (avec poster géant agrémenté de photo encadrées)

C’est vrai aussi que cette expo a sa « minute pathos » un peu comme dans les films de Mel Gibson post Arme Fatale 1 : le moment où on vous en remet une couche à grand renfort de femme/enfant/animal de compagnie mort + objet transitionnel qui fait pleurer (et de fait, Mel pleure, mais après Mel a la pêche et  Mel (se) bat).  Bref, ici la minute pathos est la mise en scène totalement gratuite du portrait de la femme de la Grande dépression de manière extrêmement théâtrale avec ce côté « avant/après » cher aux pubs pour les produits capillaires. A cela, il faudrait probablement ajouter quelques analogies formelles souvent sans intérêt (« – Atget a fait des photos des métiers de rues de Paris et Evans aussi, dis donc ! – Et alors ? – Ben, rien, c’est tout, je voulais juste dire ça… »), puis un sur investissement du discours autour de la notion de « vernaculaire » (lire à sujet le papier de Marc Lenot).

EVANS ATGET CP
Atget/Evans

Alors peut-être que la seule chose à sauver dans cette exposition est la présentation des peintures de Walker Evans qui ne renseignent pas vraiment sur son talent de peintre mais plutôt sur le type de fantasme qu’il pouvait entretenir vis-à-vis de ce médium et la timide envie de faire partie de cette histoire. Finalement, l’exposition Walker Evans, est à voir comme un document sur la digestion culturelle des œuvres et leur infusion dans le grand public.

WAlker evans peintures
Peintures de Walker Evans.