saraceno

Je pourrais commencer ce post en écrivant qu’un pitch d’expo dans lequel il n’y a pas le mot « anthropocène » n’est pas une expo de la fin des années 2010. Et c’est évidemment sur cette mode que surfe la carte blanche à Tomás Saraceno au Palais de Tokyo.

D’abord, l’exposition. On est accueilli par un texte où on nous invite à faire une « jam session » avec des araignées (ça veut dire qu’on va jouer ensemble pour produire un truc, un peu comme si on faisait des reprises de nos groupes préférés entre potes). Hormis le fait que je ne pense pas qu’on ait demandé leur avis aux araignées (ou peut-être qu’elles ont royalement ignoré les nombreux courriels envoyés, les ingrates ! pourtant, le Palais de Tokyo c’est la chance de leur vie…), pourquoi nous raconter d’emblée une histoire aussi débile ? De fait, il s’agira d’exposer les toiles d’araignées fabriquées par des araignées. La seule différence avec vos toiles d’araignées domestiques est qu’ici elles sont propres, sans bestioles, et mises en scène à grands renforts de subtils éclairages. Alors c’est beau comme une vitrine Swarovski, mais pour la « jam session », on repassera. Là, je suis un peu de mauvaise foi. Après les salles de toiles d’araignée dans le noir, on peut contempler la toile d’araignée-qui-bouge-dans-le-noir-sur-un-son-new-age (grosso modo le même son qu’on retrouve dans beaucoup d’expositions dès qu’on sent qu’il faut meubler l’espace, c’est-à-dire un genre de nappe sonore entrecoupée de cliquetis pour faire un peu « organique »). Finalement, il y a du son mais toujours pas d’interaction.

Après les salles des toiles-d’araignées-dans-le-noir-qu’on-dirait-un-train-fantôme-un-peu-chic, on arrive à la salle des produits dérivés. Une salle blanche où sont accrochés d’élégantes impressions de toiles d’araignées et des dessins mimant plus ou moins ce geste. Au sol, des feutres maintenus verticalement par des ballons à hélium dessinent des formes sur des feuilles de papier au rythme des courants d’airs… et vous ne devinerez jamais, mais ça ressemble (un peu) à des toiles d’araignées (enfin, à des lignes qui se croisent, « mais fallait garder son âme d’enfant aussi ! »). Le seul avantage de cette salle, est qu’elle n’est pas accompagnée du baratin qu’on subit dans le reste de l’expo.

Après avoir démontré que les araignées sont formidables, Saraceno s’emploie à développer la conscience écologiste du visiteur. On retrouve ici un des tics insupportables des expos actuelles d’art contemporain : le « j’expose ma bibliothèque de recherche » (que j’appelle aussi « je passe mon bilan sur table en salle 303 », mais seuls les profs d’école d’art et les étudiants peuvent comprendre cette subtile référence). Ça se concrétise par des enfilades de vitrines dans lesquelles sont exposés des livres, parfois ouverts, sensés montrer à quel point le travail de l’artiste est documenté. Evidemment, personne ne pourra lire ce qu’il y a sous les vitrines car c’est inconfortable et que personne ne vient au musée pour ça. Bref aucun intérêt, à moins de considérer ce book dropping comme une stratégie d’intimidation (sous-texte de l’expo ?), ou comme une série d’hyperliens qu’on doit se contenter de survoler (c’est d’ailleurs troublant qu’un artiste qui se targue de s’intéresser à la recherche actuelle ne cite aucun article Internet alors que c’est sur ce support que sont majoritairement diffusés les articles scientifiques, mais c’est vrai que c’est plus chiant à mettre sous vitrine !). Le tout est évidemment plongé dans le noir pour accentuer le côté théâtral du savoir, mais aussi probablement pour montrer d’autres pièces avec des toiles d’araignées (où l’on apprend notamment que quand on met un projecteur derrière une toile d’araignée, ça fait une ombre sur le mur d’en face). Pour être tout à fait honnête, le public pourra manipuler des vrais livres à la fin de l’expo, dans la salle pédagogique.

Mais le clou du spectacle est probablement la vidéo White Sands/Tata Inti qui regroupe toutes les apories d’un art contemporain spectaculaire voulant faire prendre conscience au visiteur des dégâts engendrés par l’homme sur les écosystèmes (le fameux anthropocène). Ici, le groupe Aerocene fait voler des sortes de gros berlingots mus sans énergie fossile. La scène se passe au dessus d’un lac asséché en Argentine. On ne reviendra pas sur le fait que pour promener des artistes, des scientifiques et leurs machines, il a fallu utiliser de l’énergie fossile, pour se concentrer sur le cartel accompagnant la projection : « Ce lieu a été choisi après que le lac est devenu un site d’extraction de lithium, menaçant les communauté indigènes et les équilibres écologiques. Chaque vol de la communauté Aerocene est une affirmation politique envoyée dans les airs, militant  pour une collaboration éthique avec l’atmosphère. ». En résumé, il faut collaborer avec l’atmosphère et filmer le tout avec des caméras dont les batteries fonctionnent au lithium, minerai dont il faut également dénoncer l’extraction… J’avoue avoir vraiment du mal à comprendre la logique de Sareceno, sauf à postuler que la consommation dispendieuse d’énergie opérée par l’art contemporain compte pour du beurre.

Cette exposition est d’autant plus énervante qu’elle sous entend l’idée que les écosystèmes ne sont défendables que s’ils sont spectaculaires. Des toiles d’araignées, présentées comme des bijoux, jusqu’aux recherches scientifiques vues par le petit bout de la lorgnette, tout renvoie aux formes éculées d’une domination de la nature et de sa transformation en objet. Et c’est d’autant plus triste que de nombreux artistes actuels traitent de ces question de manières beaucoup plus fines et complexes (Art Orienté Objet, Gregory Chatonsky, Nicolas Floc’h, etc. pour ne citer que quelques artistes français). Il est grand temps que l’art contemporain à ambition politique s’émancipe du modèle grandiloquent à la Yann Artus Bertrand et se pose des questions quand aux conditions de possibilités de leur production.

Mais compte tenu de la tendance des expositions mastodontes et spectacularistes (parce que l’art contemporain c’est chiant, alors il faut mettre des gros trucs dans les musées…), il y a peu de chances que ça se produise. Alors, j’attend avec impatience la suite des expositions du Palais de Tokyo avec « L’eau, ça mouille » (une réflexion consciente sur notre ère anthropocène qui conduit à la fonte des glaces et à l’augmentation du niveau de la mer, poussant le spectateur-citoyen à militer en faveur de l’instauration de bars à eaux lors des vernissages) ; puis enfin « Le feu, ça brûle » (où  l’on verra des vidéos d’incendie de foret à travers le monde, la maison de Brad Pitt en flammes, etc… bien plus politique… mais le public est-il prêt ?).

brad pitt burning house