Il ne m’est pas facile de parler d’un texte de Nicolas Bourriaud, entre autre parce qu’un bouquin comme l’Esthétique relationnelle a permis à pas mal d’étudiants de ma génération d’entrer dans l’art contemporain, de transformer un truc un peu bizarre en truc intéressant et accessible (Le Colonel Moutarde d’Eric Troncy a fait le même effet…). Le discours de Bourriaud ou Troncy changeait du ronron du Artpress d’alors. Je sais que mon intérêt pour Bourriaud me vaudra quelques quolibets, mais je pense sincèrement que dans le climat de la fin des années 90, ses propositions curatoriales (Palais de Tokyo et autres) et éditoriales ont été relativement salvatrices même si elles étaient parfois un peu agaçantes.

Dernièrement, Bourriaud à fait paraitre The Radicant, un essai (en anglais !) dans lequel il défend l’idée d’un art altermorderne et de l’artiste « radicant ».
L’altermoderne, c’est assez simple : il s’agit grosso modo d’une modernité réactualisée, débarrassée de son de son radicalisme et de son universalisme (qui se révélé être un « eurocentrisme »). Jusque là ça ressemble un peu à la postmodernité (Lyotard) ou à la « modernité faible » (Vattimo). Mais chez Bourriaud, cette modernité du 21e siècle est réactivée sous forme d’« archipels » comme modalités de refus du relativisme postmoderne (c’est là son coté néo-moderne à la Habermas).
L’artiste radicant (qu’on pourrait traduire par « radiculaire », mais c’est moins sexy !) est l’artiste qui fonctionnerait en rhizome (Deleuze et Guattari), même si Bourriaud apporte quelques nuances à cette analogie (p. 54-55). En fin de compte, le terme « radicant » est surtout une bonne trouvaille terminologique pour s’opposer au « radical » moderniste. Cela fonctionne plutôt bien car, de ce point de vue, les 78 premières pages du livre — même si elles ne sont pas révolutionnaires — sont plutôt intéressantes.

Bourriaud tente de repenser la question de l’exposition de l’art extra occidentaux et du regard qu’il nous est « autorisé » d’avoir sur ces expressions à l’heure de la globalisation. Mais ce qui me chiffonne, c’est qu’il pose la question à partir des origines de l’artiste et non à partir de son œuvre, un peu comme si seule la biographie (qui n’est jamais abordé sous l’angle de la mythologie personnelle !) avait plus d’importance que l’œuvre. D’autre part, il me semble toujours un peu réducteur de penser que les aborigènes sont forcément les mieux placés pour parler des problèmes d’aborigènes…
Bourriaud pose également une question qui me semble centrale, mais à laquelle personne ne cherche jamais à répondre (pas même lui !) par crainte d’être vraiment « politiquement incorrect » : « Après tout, pourquoi la diversité culturelle serait préférable au partage d’une seule culture commune à tous ? N’est-ce pas la globalisation, à travers le pouvoir économique Américain, qui a généré une culture accessible à tous et ainsi accompli le rêve moderniste d’une humanité unie ? » (p. 60)
Dans le reste du livre — moins passionnant — Bourriaud décline une série de thèmes tournants autour du trajet, du voyage, de la traduction, du déplacement, de la cartographie, du décentrement et de la périphérie (ce qui est toujours drôle de la part d’un type aussi « central » dans le WOA que Bourriaud !)… qu’il égraine molement à travers les œuvres d’artistes dont il défend le travail depuis belle lurette (bref, un classique du genre).