En parcourant le site web du Musée Fabre, l’amateur d’art contemporain peut rapidement être pris de frayeur : l’histoire récente ne paraît pas vraiment être le coeur de métier du musée. C’est vrai qu’entre Buren et Soulages, le musée est coincé entre deux des plus grosses « voitures ventouses » de l’art contemporain français…

Cette impression se confirme à la visite des lieux. Le rez-de-chaussé déploit une minuscule collection de peinture contemporaine (avec une salle consacrée à Hantaï tout de même!). Justice semble rendue dans les étages où un vaste espace est dédié à Pierre Soulages. Même si je n’ai pas d’affection particulière pour l’oeuvre du peintre, force est de reconnaître que le travail de scénographie de ces salles met parfaitement en valeur les oeuvres de l’enfant du pays (et si j’étais totalement de mauvaise foi, je dirai que cet espace serait encore plus beau totalement vide…). Ailleurs, nulle oeuvre contemporaine, si ce n’est une petite présentation sans grand intérêt (Alexandre Hollan) et qui sent un peu l’exposition diplomatique.

Salle Soulages, Musée Fabre, Montpellier, France © Hervé Abbadie

Outre sa très élégante architecture (signé Nebout et Brochet-Lajus-Pueyo pour sa réhabilitation en 2007), le véritable joyau du Musée Fabre réside dans les salles consacrées à Gustave Courbet.

C’est un réel choc esthétique que de se retrouver au milieu des Baigneuses (1853) et de La Rencontre (ou Bonjour Monsieur Courbet, 1854). Sur les murs latéraux de cette même salle s’égrainent d’autres chefs-d’oeuvre du maître d’Ornans comme quelques portraits magistraux (Autoportrait à la Pipe, Portrait de Baudelaire, etc.). Ce plaisir muséographique est encore décuplé par l’échelle et la quiétude des lieux qui ne fait regretter à aucun moment que ces oeuvres ne soient pas présentées au Musée d’Orsay par exemple.

Salle Courbet, Musée Fabre, Montpellier.

Mais c’est en tournant autour de cette salle que me viennent deux remarques assez perverses.

Premièrement, non loin de la salle Courbet est présentée une oeuvre de Frédéric Bazille Petite Italienne chanteuse des rues (1866). Elle représente un petite mendiante parcourant les rues en cassant les oreilles des passants avec son violon mal accordé (c’est mon expérience anachronique d’usager du métro parisien qui doit me faire interpréter cette oeuvre de la sorte…). Digne d’un chromo, l’exécution relève du pathos absolu et pourtant, le cartel se conclut ainsi : « […] peinte avec force dénuée de misérabilisme »… bref l’inverse même de ce qui saute aux yeux de n’importe quel visiteur.

Frédéric Bazile, Petite Italienne chanteuse des rues, 1866.

Deuxième remarque un peu moins anecdotique, la manière dont les peintres de l’époque de Courbet se sont livrés à une drague agressive à l’endroit d’Alfred Bruyas allant bien au delà du traditionnel art du portrait.

Ces salopiots de peintres ont déployé des trésors de lèche-bottisme afin de plumer le riche héritier qui avait eu le malheur de s’enticher d’artistes aussi roublards. Ça commence avec La Rencontre représentant Courbet croisant Bruyas au grès de ses pérégrinations (même si ici l’endémique mégalomanie de Courbet l’emporte sur la reconnaissance du ventre). S’en suivent d’autres compositions qui se débrouillent toujours pour placer le collectionneur dans des attitudes très flatteuses. Auguste- Barthélemy Glaize se donne lui aussi un peu de mal (le Goûter Champêtre (Olim ou Souvenir des Pyrénées, 1851) et Intérieur du cabinet de Bruyas (1848)), mais les sommets sont malgré tout atteint par L’Atelier du peintre d’Octave Tassaert (1853). Dans cette petite peinture, Bruyas devise sur une toile alors que l’artiste – pendu à ses lèvres – prépare fébrilement ses couleurs d’après les judicieuses remarques du collectionneur… business as usual!

Ainsi, lorsqu’on a remarqué la duplication des portraits de Bruyas, aisément reconnaissable avec sa belle barbe rousse, on finit par jouer, de manière quasi-compulsive, à Où est Charlie ? et la visite du Musée Fabre prend une toute autre tournure…

Auguste Glaize, Intérieur du cabinet de Bruyas, 1848.
Auguste-Barthélemy Glaize, Le Gouter Champêtre (Souvenir des Pyrénées), 1850.
Octave Tassaert, L'Atelier du peintre, 1853. (si quelqu'un a une image de meilleure qualité de cette oeuvre, je suis preneur!)