
Je n’ai pas l’habitude de m’entretenir dans ces colonnes de sujets aussi fondamentaux que de savoir ce qu’est un artiste pour les ménagères désespérées. Mais comme la dernière saison des filles de Westeria Lane vient de se terminer sur une intrigue artistico-barbouille, je dois m’y résoudre, croyez-le, dans la souffrance et la contrition.
Les problématiques quasi kantiennes ouvrant un chapitre inédit de La Critique de la faculté de juger du philosophe du Köningsberg ne courent hélas que sur 4 épisodes de la 8e saison, mais elles ont de quoi rebattre vigoureusement les cartes de l’histoire de l’art, de l’esthétique, voire de l’humanité.
Résumé :
C’est au cours de l’épisode 4 qu’on entend parler pour le première fois d’Andre Zeller (Miguel Ferrer). Cet artiste renommé vient d’échouer dans la fac de notre charmante banlieue pour y donner des cours de peinture très prisés, tant et si bien que Suzanne (Teri Hatcher) tuerait père et mère pour y être admise. Elle va donc montrer son pitoyable book au Maître. Ce dernier l’envoie évidemment bouler en lui disant que ce qu’elle fait n’est pas de l’art. Furieuse, Suzanne saccage une toile en y jetant de la peinture sous le regard médusé du Maître… un génie est né ! Et ça tombe plutôt bien car Zeller décide de prendre Suzanne dans son cours pour voir la « femme furieuse » qui sommeille dans la ménagère…
Dans l’épisode suivant (au titre original très duchampien « the art of making art ») Zeller organise une séance de nu qui fait ricaner Suzanne. Le prof décide alors qu’au prochain cours, tout le monde viendra nu. Evidemment, Suzanne est la seule à arriver en tenue d’Eve et s’enfuit ridiculisée. Mais le Maître, bien que bourru, va chez Suzanne pour tenter de la faire revenir au cours.
Dans l’épisode 8, Suzanne s’inspire du meurtre qu’elle a commis avec ses copines au début de la saison pour peindre une oeuvre qui émerveille Felix Bergman (Leslie Jordan) critique d’art et galeriste de Zeller.
Qui est l’artiste ?
Andre Zeller ou Suzanne Delfino ?
Evidemment, on serait tenté de répondre : Andre Zeller. D’abord, le personnage ressemble beaucoup à la figure archétypal de l’artiste américain d’après guerre : Jackson Pollock. Même calvitie, même regard pénétrant d’écorché vif, même agressivité, même look débraillé, même amour pour le geste et la pureté picturale, etc. Seule différence, Zeller n’est pas aussi gauchiste que son modèle (ni alcoolique, cette tare étant réservée aux latinos ou aux femmes dans Desperate Housewives), on est en 2012, faut pas déconner avec les trucs trop clivants !


On retrouve aussi une forme de misogynie virile qui avait caractérisé la génération des peintres de l’Action Painting. A plusieurs reprises, Zeller fait référence au statut de femme-au-foyer-en-banlieue-chic qui interdirait intrinsèquement à Suzanne d’avoir une véritable âme d’artiste. D’ailleurs, on comprend assez vite que, pour l’artiste, une femme sert principalement à deux choses : baiser (Zeller finit par se taper une étudiante, la chinoise hystérique (autre figure récurrente des comédies américaines) dont il dénigre publiquement le travail artistique) et s’occuper des enfants (c’est ce qu’il demande à Suzanne). Il n’a d’ailleurs pas tout à fait tort de penser ça, car en bon mâle Alfa, les femmes se plient naturellement à sa vision du monde.
Autre élément qui nous met sur la voie pollockienne : la robe que Suzanne porte lors de son premier entretien avec le peintre. Il s’agit d’une robe blanche constellée de giclures d’encre noire, sorte d’hybridation entre le dripping de Pollock et le zen japonais (une robe en dripping de toutes les couleurs aurait fait un peu trop prof d’arts plastiques des années 80!).

Une des scènes les plus drôles de la saison reste le moment où Suzanne montre ses « oeuvres » à Zeller. Il faut dire qu’on a attendu huit saisons pour voir les fameux dessins de la dame. Evidemment, ils sont catastrophiques. Les dessins ressemblent plus à des illustrations pour cartes de voeux ringardes qu’à un travail artistique. Et c’est au bord de la gerbe que Zeller renvoie Suzanne en lui affirmant que ce qu’elle montre est sans intérêt…
Ce n’est que progressivement que Suzanne va accéder au statut d’artiste. D’abord, elle se met à jeter des couleurs sur une toile, puis à la lacérer dans une crise de démence contre son prof : ça sera une forme de révélation de son « âme d’artiste » . Par la suite, elle conquière son statut d’artiste en réalisant des toiles représentant des scènes macabres dans une verve expressionniste. Enfin, elle se lance dans la performance d’art institutionnel (malgré elle) en essayant de décrocher ses toiles lors du vernissage de son expo.






C’est vrai que la figure de l’artiste pollockien est facilement identifiable, notamment en Amérique du nord. Même si en France, la figure du peintre est plutôt liée à la bonne humeur de Picasso ou à la loufoquerie de Dali, l’artiste maudit (ou raté) et angoissé fait aussi parti de notre folklore.
Alors pourquoi réinitialiser la figure pollockienne de l’artiste à l’ère des Jeff Koons et Damian Hirst ? Pourquoi préférer les mains dans la barbouille à l’artiste businessman? C’est simple, dans le monde de Desperate Housewives où tout le monde ment, où chaque placard renferme une demi-douzaine de cadavres encore tièdes, l’artiste reste le seul « humain » authentique, car c’est bien connu, l’artiste ne ment pas!
Prochain épisode de Desperate Housewives versus Monde de l’art : le critique d’art.
Intéressant. Merci!
Le personnages de Claire Fisher, son professeur et ses camarades d’école d’art, dans la série « Six Feet Under »
sont très intéressants, et assez symptomatiques.
C’est en quelque sorte « le degré supérieur » par rapport à Desperate Housewife d’une vision du « art teaching » dans une série télé, plus axé art contemporain, performing art etc…avec les clichés qui vont avec bien sûr.
http://www.austineavesdropper.com/2012/06/claires-artwork-from-six-feet-under/
Merci Pierre, j’avais totalement raté cette série lorsqu’elle est sortie. Je vais de ce pas y jeter un oeil!