9 novembre – 22 décembre 2012 / vernissage le 8 novembre 18h00-22h00
UPLOLOLOAD
Eloge de la réalité diminuée
Commissariat :
Maxence Alcalde, Caroline Delieutraz
Artistes :
Aram Bartholl, Emilie Brout et Maxime Marion,
Thomas Cimolaï, Arnaud Cohen, Caroline Delieutraz, Soraya Rhofir

Eloge de la réalité diminuée

Cela fait maintenant une vingtaine d’années que l’on a pris l’habitude d’échanger des informations via internet, qu’il s’agisse du désormais traditionnel courrier électronique jusqu’aux sites personnels. Ces dernières années, ce fut le tour des blogs et des sites communautaires. Chacun de ces éléments font désormais partie de notre quotidien. Dans les entreprises, un PowerPoint vaut mieux qu’un long discours, les Ministres tweetent leurs états d’âme, les gamins se likent sur Facebook, n’importe quel quidam surveille sa e-réputation. Parallèlement, des plateformes de jeu en ligne se sont développées, « univers persistants » dans lesquels quelques individus passent l’essentiel de leur temps. Pour ces « no life » paradigmatiques, le monde soi-disant « virtuel » est devenu celui qu’ils fréquentent le plus assidument, ils y ont leurs ami(e)s, leurs habitudes, leurs histoires d’amour, etc. Vient alors le temps où se pose la question d’un téléchargement de l’on-line vers le off-line, celui d’un recodage organique des univers numériques…

« Uploloload » propose un questionnement sur ce recodage comme manière de défaire des mondes. Il s’agit d’une mise en échec du réel par le numérique, lorsque le réel cherche à mimer le numérique. C’est une stratégie de l’échec orchestrée par main humaine face à l’hyper dextérité virtuose de la machine.

« Uploloload » joue sciemment sur l’ambiguïté des valeurs et de la légitimité accordées à nos repères formels. Tout le monde voit ce qu’est une œuvre d’art, de la même manière que tout le monde voit ce qu’est une image numérique. Mais dès lors qu’on creuse la question, les réponses évidentes s’effacent pour laisser place aux questionnements plus profonds. Il faut retourner au « code » de chacun des éléments, à leur ADN métaphorique, leurs plus petits dénominateurs communs.

Figure de proue de la nouvelle génération du net art, Aram Bartholl a pris l’habitude d’immiscer des éléments du net dans notre quotidien. Connu pour ses icônes Googles Map monumentales, l’artiste propose ici un réseau P2P primitif. Dans le mur extérieur de la galerie 22,48 m ², Aram Bartholl cimente une clé USB laissée à l’usage de tous. Chacun peut y déposer ou y prélever des fichiers, même en dehors des horaires habituels d’ouverture du lieu. Volontairement low tech, cette œuvre ré-initie la valeur matérielle du troc, voire la pratique ancestrale des offrandes précieuses faites aux pieds des totems.

Les avions de chasse convoqués par Thomas Cimolaï semblent familiers, du moins dans les espaces virtuels des jeux vidéo ou de ce qu’on appelait encore dans les années 1990 les « images de synthèse ». C’est sur ce langage commun qu’évolue Cimolaï avec ses Trophées du 6e continent, sur l’étrange familiarité ressentie face à des engins de guerre que curieusement personne n’a jamais réellement croisés.. Imprimés sur des bâches et disposés sur des patères, ces avions virtuels font office de trophées de chasse, de peaux de bêtes arrachées à la nature au prix d’un combat aussi vain que viril.

La transhumance des iconographies, telle est l’obsession de Soraya Rhofir. L’artiste opte généralement pour la propagation dans l’espace d’exposition de ses figures prélevées aussi bien sur le net que dans d’anciens manuels de management. Foncièrement virales, les installations de Soraya Rhofir saturent le regard avec des images déjà vues et contraignent notre déplacement par ces silhouettes de carnavals aux allures Dickiennes. Les images se transmuent en autant de moutons électriques errant dans l’espace neutre de la galerie, ne sachant plus où brouter. Le spectateur devient embedded — pour reprendre le terme utilisé par l’armée américaine pour qualifier les journalistes « indépendants » incorporés aux unités militaires pendant la deuxième guerre du Golfe. Ici, les possibilités de repli et les conditions d’objectivité semblent exclues car plus personne n’est capable d’identifier l’objet du réel. Pour « Uploloload », Soraya Rhofir propose une installation spécialement conçue pour l’exposition.

Internet a incontestablement bouleversé la cinéphilie. Là où il y a encore une vingtaine d’années il fallait attendre les rétrospectives pour voir un film dont on avait entendu parler, désormais ces œuvres sont disponibles quasi immédiatement et échangeables tout aussi rapidement. Dès lors, il devient possible de se forger une culture cinéphilique même dans des lieux jadis identifiés comme des « déserts culturels ». Emilie Brout et Maxime Marion sont de cette génération et ils ont choisi de rejouer à leur manière — comme des enfants dans une cour de récré — les scènes de films cultes. Leurs billes seront les paysages générés par Google Map, leurs compagnons de jeux Stanley Kubrick, Sergio Leone, Federico Fellini, Francis Ford Coppola, Michelangelo Antonioni, Steven Spielberg… Les deux artistes reproduisent les mouvements de caméras des scènes légendaires de ces films, parfois même jusqu’à l’absurde. Le climax du dispositif du duo est atteint lorsqu’ils « re-filment » la fameuse scène de terrain de tennis de Blow Up : ici, le mime et la balle de tennis « imaginaire » ont disparu, subsistent seulement les mouvements de caméra.

Ne perdons pas de vue « qu’internet, c’est sympa ». Du moins, c’est ce que semble nous raconter les trois Smileys d’Arnaud Cohen. Les Smileys revanchards sont composés de cercles en ardoise sur lesquels sont positionnées des pièces de monnaies afin de former les fameux émoticons. En y regardant de plus près, on s’aperçoit que ces pièces de monnaies sont celles qui étaient en usage sous le régime de Vichy. Le « sympa » se fige alors en « lugubre », en sourire borgne de l’officier SS fantasmatique des films de guerre. Mais chez Arnaud Cohen, le recodage a largement échoué dès lors qu’il doit faire avec la mémoire historique des lieux, les mauvais génies. Rapport étroit entre vie et mort, sourire et cri, les Smileys trouvent finalement leur place dans le genre bien connu des peintures de Vanités.

« Le pire n’est jamais certain ? », c’est du moins ce que semble annoncer Caroline Delieutraz avec ses Google Marque-pages. L’artiste répertorie les mots clés associés aux livres qu’elle choisit, puis recopie les publicités que Google leur associe. S’en suivent une série de marque-pages publicitaires « bien réels » que l’artiste dissémine dans diverses bibliothèques (BNF, BPI, etc.) et qui viennent interpeler le lecteur comme autant de pop-up publicitaires débordant d’internet.

Nul doute alors que chacun des artistes présentés à « Uploloload » signe l’échec du monde off-line, celui de la « réalité diminuée » qui vient s’écraser mollement sur la luxuriante « réalité augmentée ».

Maxence Alcalde

Les commissaires : Maxence Alcalde est critique d’art, commissaire d’exposition et bloggeur. Docteur en esthétique.  Auteur de L’Artiste Opportuniste (L’Harmattan, 2011). Caroline Delieutraz est artiste, membre du collectif Microtruc.

+++

In praise of a diminished reality

exhibition 9 November to 22 December 2012 / Round table 23 November at 7 pm

Artists:  Aram Bartholl, Emilie Brout et Maxime Marion, Thomas Cimolaï, Arnaud Cohen, Caroline Delieutraz, Soraya Rhofir

Curators : Maxence Alcalde and Caroline Delieutraz

It’s been two decades now that we use Internet to share information, starting from what one may now call the traditional email, right up to personal websites. In recent years we saw the rise of blogs and community sites. All these elements are now part of our daily lives. In business, a Powerpoint presentation is more appreciated than a long speech, ministers tweet their thoughts, the kids like each other on Facebook, everybody watches their e-reputation.

The same period saw the development of platforms for online games, « persistent universes» where some people spend most of their time. For the typical « no life », the so called « virtual » world has become the world he most frequently visits, it’s the place that brings together his friends, habits, love stories etc. Finally we need to ask whether we’re downloading the online towards the offline, and with it whether it’s time for a substantial recoding of the digital universe.

« Uploloload » proposes an investigation into the basic recoding of all things digital as a form of deciphering various worlds. It’s about the digital defeating the real, when the real in turn tries to mimic the digital. It’s a manmade strategy of defeat in front of the machine’s virtuous hyper dexterity.

« Uploloload » plays deliberately with the ambiguity of our values and with the legitimacy we attribute to our system of references. Everybody knows what’s a work of art, in the same way as everybody knows what’s a digital image. But if you dig further, the obviousness of the answers fades leaving space for more profound questionings. It’s important to get back to the « code » of each of the elements, to their metaphorical DNA, their lowest common denominator.

Key figure of the new generation of net art Aram Bartholl made a habit of inserting elements of the net into our daily lives. Known for his monumental Googles Map icons, the artist presents us with a simple peer-to-peer network. It’s centred around a USB stick embedded into the exterior gallery wall which will be available for everyone to use. Everybody is invited to drop or retrieve files, even if the gallery is closed. Deliberately low tech, this work revives the material value of barter, or even the ancient practice of precious offerings made at the foot of totems.

The fighter planes presented by Thomas Cimolaï seem familiar, at least in the virtual worlds of video games or in what was still known in the 1990s as « computer animation ». It’s this kind of common language that forms the base of Cimolaï’s Trophies of the 6th continent, feeding the strange familiarity we feel in front of war machines that – curiously – nobody ever really saw. Printed on canvas sheets and displayed on coat hooks, these virtual aircrafts act as hunting trophies, and remind one of animal skins torn from nature at the price of a battle that’s as futile as virile.

The « transhumance » of iconographies is the subject of Soraya Rhofir‘s artistic obsessions. The artist opts for a display of figures taken both from the net and old working manuals. Inherently viral, Soraya Rhofir’s installations saturate the eye with images already seen and direct our movements through carnivalesque silhouettes and gestures reminiscent of Dickens. The images transmute into electric sheep wandering the neutral gallery space, no longer knowing where to graze. The viewer becomes embedded  – to borrow a term used by the U.S. military to describe « independent » journalists incorporated in military units during the second Gulf War. Here, withdrawal and objectivity seem impossible, because nobody is able to identify the object of the real. For « Uploloload », Soraya Rhofir presents an installation specifically designed for the exhibition.

Internet has undoubtedly changed the work of cinephiles. If twenty years ago, in order to see a certain movie, you had to wait for a retrospective, nowadays it’s immediately available and as quickly interchangeable. It’s now possible to become a cinephile even in places formerly considered as « cultural deserts ». Emilie Brout and Maxime Marion are part of that generation and they decided to recreate, in their own way, selected scenes from cult movies, like kids in a playground. Playing with landscapes from Google Map, and playmates like Stanley Kubrick, Sergio Leone, Federico Fellini, Francis Ford Coppola, Michelangelo Antonioni, Steven Spielberg… the artists reproduce camera movements of the films’ legendary scenes, sometimes taking them to the absurd. When they « re-film » the famous tennis scene in Blow Up, they reach the climax of their endeavour, as they replace the mime show and the «imaginary» tennis ball with nothing else than camera movements.

Let’s not forget « that the Internet is fun ». At least that’s what the three Smileys by Arnaud Cohen seem to suggest. The vengeful Smileys are made of circular slate discs featuring coins that form those famous emoticons. Looking closer one realizes that these coins circulated under the Vichy regime. Hence, the « fun »-part turns into something « lugubrious », reminiscent of the haunting blind smile of an SS officer. But with Arnaud Cohen, the recoding process has largely failed when it comes to the historic memory of places. Closely linking life and death, smiles and tears, the Smileys finally find their place among the well-known genre paintings of the Vanities.

«The worst is never certain?», at least that’s what seems to announce Caroline Delieutraz with her Google bookmarks. The artist lists keywords associated to selected books, and subsequently copies the adverts Google links to them. What follows is a series of «quite real» advertising bookmarks which the artist distributes in various libraries (BnF Bibliothèque Nationale de France, BPI Bibliothèque Publique d’Information).

There’s no doubt then, that each of the artists presented in the exhibition «Uploloload» underline the defeat of the off-line world, that of a « diminished reality » softly being crushed within a luxurious «augmented reality».

Maxence Alcalde

The curators : Maxence Alcalde is an art critic, curator of exhibitions and blogger. He holds a doctorate degree in aesthetics and is the author of  L’Artiste Opportuniste (L’Harmattan, 2011). Caroline Delieutraz is an artist and a member of the art collective Microtruc.

+++

TABLE RONDE  « L’art numérique est-il soluble dans l’art contemporain ? »
Vendredi 23 novembre 2012 à 19h
Coordonnée par Maxence Alcalde
Intervenants :
Emilie Bouvard, critique d’art, rédactrice en chef du site « Portraits La Galerie »
Emilie Brout et Maxime Marion, duo d’artistes
Alexandre Callay, collectionneur curieux

(entrée libre)

+++

22,48 m²
30 rue des Envierges 75020 Paris
métro : Jourdain / Pyrénées ligne 11
tél. : +33 (0)9 81 72 26 37
www.2248m2.org
contact@2248m2.org

OUVERT : du mercredi au samedi de 14h à 19h