Clémence Veilhan, Je n'ai jamais été une petite fille.
Clémence Veilhan, Je n’ai jamais été une petite fille.

Parfois, on se dit « Mouais, ça ressemble un peu à un truc de modasse » et puis on finit par aller jeter un œil. C’est généralement à ce moment qu’on se rend compte qu’on a été un peu con de faire confiance aux images diffusées — évidemment toujours lacunaires — et de penser qu’on pouvait connaitre une œuvre sans aller voir l’exposition…

Les dispositifs de Clémence Veilhan sont relativement simples : il s’agit de convoquer des corps sociaux par le prisme de la biographie ou de l’autobiographie, ceux de la jeune femme tout juste sortie de l’adolescence, ou celui plus rétrospectif de la trentenaire.

Clémence Veilhan, 24 heures dans la vie d'une femme.
Clémence Veilhan, 24 heures dans la vie d’une femme.
Clémence Veilhan, 24 heures dans la vie d'une femme.
Clémence Veilhan, 24 heures dans la vie d’une femme.

Avec 24 heures de la vie d’une femme, Clémence Veilhan narre les grandes étapes de sa vie, événements marquants bien que banals. Au premier abord — et un peu par paresse intellectuelle —, on pense aux travaux de Sophie Calle (pourquoi Sophie Calle, pourquoi toujours Sophie Calle dès lors qu’une femme fait de la photo un peu narrative… ?), mais finalement c’est plutôt les premier travaux de Boltanski que Clémence Veilhan semble réactiver. Le dispositif des photographies est une fois de plus extrêmement simple, presque dépouillé : l’artiste, vêtue selon le récit qu’elle émet, se tient face à l’objectif. Elle enclenche la prise de vue au moyen d’une poire dont le cordon reste visible dans le cliché final. Pour l’exposition, Clémence Veilhan a accolé de courts textes relatant le contexte fictionnel des photographies. Sur les clichés, l’artiste affiche un visage impassible, presque neutre, même si cette neutralité tire vers le grave. Ce qui frappe est la présence, voire l’intrusion, du cordon du déclencheur tenu par l’artiste. On pense évidemment à un cordon ombilical reliant le photographe à sa machine, puis au fil reliant le modèle sur fond blanc à son hors champ photographique. Mais l’atmosphère des images de Clémence Veilhan renvoie à une étrangeté d’un autre ordre — anachronique —, quelque chose de victorien. Cauchemardesque bien plus qu’autobiographiques, on pense alors à une corde à sauter tronquée, celle d’un jeu brisé interdisant tout amusement. D’un seul coup, on bascule chez Lewis Caroll, impression renforcée par la proximité avec la série Je n’ai jamais été une petite fille, probablement la série la plus étrange de l’exposition. Ici, l’artiste convoque des modèles qu’elle habille d’une de ses robes de petite fille, toujours la même : sombre avec une collerette blanche. Ces images en noir et blanc tirées sur un papier légèrement texturé jouent sur les matières, sur les noirs, sur les matetités voire les flous : elles ressemblent presque à des gravures. Ces corps d’Alices hantent l’espace et imposent leur présence spectrale.

Clémence Veilhan, chewing Girls.
Clémence Veilhan, chewing Girls.
Clémence Veilhan, Chewing Girls
Clémence Veilhan, Chewing Girls
Clémence Veilhan, Chewing Girls
Clémence Veilhan, Chewing Girls

Plus légère — et peut être un peu plus convenue —, la série Chewing Girls propose en filigrane un portrait des corps des jeunes femmes des années 2010. Même s’il ne s’agit pas du sujet a priori de cette série — l’artiste insiste sur le rapport avec le modèle et la bulle de chewing-gum comme métaphore d’une enfance révolue —, c’est bien ces corps qu’on regarde. Les postures comme les regards trahissent leur époque, celle de filles digital natives ayant conquis l’image de soi à coup de selfies.

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Clémence Veilhan, Galerie Laure Roynette, du 29 novembre 2014 au 20 janvier 2015.