Fun
Fun

Depuis quelques années, on assiste à un retour d’intérêt pour la free press née dans les mouvements de contestation des années 1960. On fait généralement débuter cette aventure avec la volonté de jeunes auteurs et éditeurs (écrivains, dessinateurs, poètes, journalistes, etc.) de s’émanciper des circuits traditionnels de distribution et de la censure omniprésente à l’époque. Sujet passionnant s’il en est — surtout au moment où se pose la question de la désaffection du public pour la presse « traditionnelle » —, Underground propose une plongée dans l’histoire de cette presse indépendante. Construite principalement sur les archives de deux collectionneurs, l’exposition s’organise selon un axe chronologique (1960-2010) et sur un espace relativement réduit. Si l’intention est louable, le résultat est — disons-le d’emblée —décevant.

Actuel 1973
Actuel 1973
la gueule ouverte
la gueule ouverte
LA Star
LA Star
le torchon brule
le torchon brule

Premier grief : la « scénographie » de l’exposition, qu’il faudrait plus précisément qualifier « l’accrochement », pour reprendre le néologisme d’un ami. S’il est louable — ou naïf, c’est selon… — d’avoir une ambition d’exhaustivité, en revanche cela devient étouffant dès lors que les dispositifs d’exposition ne sont pas pensés. Les documents, maintenus pas des pinces à dessin, sont disposés de manière à recouvrir les murs. Une plaque de plexiglass grossièrement arrimée est disposée devant les documents. Si on comprend bien l’idée de vouloir reproduire un étal (pour le moins caricatural) d’un libraire free press, ce dispositif très littéral révèle ses limites dès lors qu’on tente d’y accoler un discours rétrospectif. Ici, les revues paraissent épinglées comme de pauvres papillons un peu fatigués. Le visiteur se trouve face à des murs de couvertures de journaux, de magazines et de fanzines, sans jamais avoir accès a ce qu’on peut trouver à l’intérieur (cette manie de considérer qu’une édition se limite à sa couverte semble être le style de la maison, nous y reviendrons…). Au milieu de la pièce, des vitrines viennent compléter le all over et finissent de saturer l’espace (autre particularité étonnante : les organisateurs de l’exposition n’ont pas pensé qu’il était possible de tourner autour d’une vitrine et ont présenté les documents dans un seul sens !).

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underground, vue d’exposition
un bon gros spot de mjc, c'est vintage!
un bon gros spot de mjc, c’est vintage!…
hit combo! : plexiglass + cube de plexiglass de posé de travers + grosse visse + papier noir qui se décolle + pince à dessin
et le hit combo de la scéno qui tue ! : plexiglass + cube de plexiglass de posé de travers + grosse visse + papier noir qui se décolle + pince à dessin

Le second grief de l’exposition est l’inexistence de son appareil critique. Les remises en contexte sont extrêmement allusives. Les cartels — tout aussi frugaux (par exemple, les auteurs des illustrations de couverture sont rarement mentionnés) — sont disposés au bout de chaque mur, rendant leur consultation pénible. La paresse scientifique de l’exposition induit un certain nombre de contresens comme de considérer que les publications actuelles comme celles des français du Dernier Cri ou d’United Dead Artists (des productions souvent sérigraphiées, essentiellement graphiques, tirés à peu d’exemplaires, etc.) ont un lien avec la free press américaine des années 1960 ou même ce qui a pu se passer en France un peu plus tard autour d’Actuel ou des collaborations entre Libération et le collectif Bazooka. Ces contresens résultent d’une approche purement formelle de ces documents en gommant totalement leur contexte de production et de diffusion, et donc de leur portée politique. L’appareil « critique » d’Underground interdit alors au visiteur non spécialiste de la free press de comprendre quoi que ce soit à cette présentation au-delà que les couvertures de ces revues étaient vraiment sympas ! On est tout de même en droit d’attendre plus de rigueur (sans parler d’érudition, quoi que !) de la part d’une exposition inscrite dans la « Fête du graphisme », manifestation censée sensibiliser le public aux différents aspects du design graphique…

free press 2000

free press 1960

Par curiosité, je me dirige vers les deux autres expositions de la « Fête du graphisme » proposées à la Cité internationale des arts. Si les présentations monographiques du rez-de-chaussée respectent plus ou moins les œuvres (il s’agit essentiellement d’affiches encadrées), la catastrophe prend une ampleur apocalyptique au premier étage.

We love books, présente une série de livres alignés au mur (encore !) et classés par graphistes. Chaque livre est écrasé sous une épaisse plaque de plexiglass tenu par d’épaisses visses fichées dans le mur (encore !). On se dit alors que le « love » de l’exposition doit être une sorte de sous-entendu sado-maso !  Au bout de chaque alignement, un cartel déballe le cv du graphiste (mais jamais d’analyse de son travail, de mise en perspective, etc.). Pour le reste, impossible de comprendre la manière dont sont pensés les livres : les nuances des couvertures (brillance, grain, effets de couleur, transparences, etc.) sont gommées par le plastique du plexiglass ; le façonnage[1] des ouvrages ou la mise en page intérieure passent quant à elles totalement à la trappe… On ne peut s’empêcher de penser à un manque de respect assez cuistre pour le travail des graphistes, ce qui est un comble quand on prétend vouloir sensibiliser le public aux enjeux du design graphique ! Inutile alors de préciser que la présentation de la Cité internationale des arts remporte haut la main le prix « toutes catégories » de la pire mise espace vue depuis longtemps.

 

exposition We love books
exposition We love books
Park Kum Jum (graphiste) dont l'édition est clouée au mur derrière une vitre en plexiglass!
Park Kum Jum (graphiste) dont l’édition est clouée au mur derrière une vitre en plexiglass!
Paula Scher MAPS
MAPS de Paula Scher qui semble un peu fatiguée dans son reliquaire en plexiglass

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[1] Alors même qu’il est possible de faire une exposition passionnante sur ce sujet a priori très technique comme ce fut le cas à la Bibliothèque Universitaire du Havre avec Monozukuri : façons et surfaces d’impression (20 janvier au 28 février 2014, commissaires : Sacha Leopold et François Havegeer, Thierry Chancogne).