Anish Kapoor à Versailles
Anish Kapoor à Versailles

Ça n’a pas raté, comme ça n’avait pas raté non plus lorsque Jeff Koons ou Takeshi Murakami y avaient exposé : Anish Kapoor fait scandale à Versailles ! Une douzaine de sculptures planté ici où là — accompagnées de titres opportunément provocateurs — ont suffi. Trop facile, car en face, une armée de serre-tête-velours terrée dans des douves qui n’existent pas, n’attendaient que ça pour bondir. Et forcément, quand on est un peu taquin, difficile de ne pas aller y faire le pitre…

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Pas si simple, évidemment ! Montrer des artistes contemporains dans les lieux de patrimoine est une marotte de musée apparue en masse à la fin des années 1990. L’idée étant de donner un « coup de jeune » aux collections (« collection » étant associé  à « poussière », « ringard », « soporifique », etc.), de les « dépoussiérer » (l’art contemporain y étant convoqué comme Swiffer du patrimoine). L’avantage avec l’art contemporain, c’est justement que c’est con-tem-po-rain et que donc ça intéresse forcément les « gens », ou du moins ça les fait « réagir » surtout lorsqu’on expose de l’art-qui-pousse-mémé-dans-les-orties. L’équation est donc vite posée : collection muséale + art contemporain = buzz.

Mais tout n’est pas mauvais dans ces nouvelles pratiques curatoriales. Dans ce registre des expositions cross-over, une des formes les plus réussies fut probablement « Give and Take » (2001) de la Serpentine Gallery et du Victoria & Albert Museum de Londres[1]. La commissaire Lisa Corrin était parvenue à faire se rencontrer une collection de mobilier avec des œuvres de Jeff Koons, Wim Delvoye ou d’Andres Serrano. Cette expo permettait de voir différemment les collections du musée dont l’accrochage était finement mené.  Ici l’accrochage — bien que non dénué d’arrières pensées compte tenu des boutiquiers de la provoc convoqués pour l’évènement — restait digne et proposait une belle expérience au visiteur. Même si ce type d’opération n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes scientifiques (par exemple, comment justifier ce mélange entre différentes périodes et/ou différentes pratique ?) et/ou éthiques d’autant plus prégnant qu’en France la plupart de ces musées sont publics (qui paye ces opérations ? quels partenariats ? pour quel retour sur investissement ? etc.), beaucoup de musées se sont engouffrés dans la brèche avec plus ou moins de fortune.

Le cas Kapoor — et de manière générale l’ensemble des cross-over versaillais — exacerbe l’ensemble des problèmes que pose ce type d’opération, hélas sans jamais vraiment en débattre (les « anti » considérant l’art contemporain comme nul et vulgaire, et les « pro » considérant les « anti » comme d’obscures crétins moyen-ageux : chacun jouant finalement son rôle dans une comédie bien huilée).

D’abord, la question de l’unité et de la cohérence historique des lieux. Même si on est amateur d’art contemporain, on ne peut s’empêcher de penser que le visiteur du Château de Versailles — dont il s’agit bien souvent de la première et dernière visite du site — aura une compréhension tronquée de l’édifice et des jardins ainsi réaménagés. Cet argument est régulièrement brandi par les « anti » et hélas rarement débattu par les « pro ». Le deuxième problème concerne le choix de l’artiste présenté et des enjeux extra-artistiques dont il est l’instrument. Autrement dit, un artiste du haut de la liste du kunst kompass[2] est avant tout un enjeu financier pour les méga collectionneurs qui plébiscitent ses œuvres. Ces riches « mécènes » sont d’ailleurs bien souvent également des patrons d’industries intervenant au titre de mécénat d’entreprise. Par exemple lorsqu’on expose Jeff Koons, chouchou de François Pinault, et que par ailleurs certaines des entreprises sont de « généreux donateurs », on ne peut que s’étonner d’un tel conflit d’intérêt. Enfin — et peut-être que ce dernier problème cristallise l’ensemble des autres —, comment ne pas s’interroger sur l’instrumentalisation des œuvres d’artistes contemporains et la privatisation du patrimoine aux seules fins de publicité d’une institution (et de son dirigeant), d’une marque ou d’un méga collectionneur. Généralement, cela apparaît comme un déni total du travail de l’artiste noyée dans la guimauve communicationnelle et cosmétique de la politique de la première page.

Pas étonnant alors — dernier soubresaut postmoderne de l’histoire — que Versailles soit devenu le lieu où les artistes (aussi) aiment à chier derrière les rideaux ?

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Wenceslas Hollar, A pack of knaves, All-hid, gravure du 17e siècle.

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[1] Give [and] take : 1 exhibition, 2 sites : Serpentine Gallery, London ; Victoria and Albert Museum, London, 30 January-1 April 2001 / [text by Lisa G. Corrin] avec Ken Aptekar, Bing   Xu,   Neil   Cummings, Marysia   Lewandowska, Wim   Delvoye, Jeff   Koons, Liza   Lou, Roxy   Paine, Morgan   J. Puett, Suzanne   Bocanegra, Marc   Quinn, Andres   Serrano, Yinka   Shonibare, Hiroshi   Sugimoto, Philip   Taaffe et Hans   Haacke.

[2] Classement annuel des artistes vivants les plus rentables réalisé par le magazine financier allemand Capital depuis 1971.

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