(ill. Max Fécamp).
(ill. Max Fécamp).

C’est toujours un bol d’air que de faire le tour des galeries bruxelloises. Même si quelques mastodontes peuplent la steppe (Almine Rech, Xavier Hufkens, Meessen De Clecq, etc.) les galeries plus modestes prennent encore des risques :

La Galerie Dubois Friedland expose une pièce particulièrement bluffante de Laurent Jourquin. Nemosis Temple s’engage dans un agencement subtil de références ; monumentale faisant office d’univers-monde hypnotique. S’y côtoient un oiseau empaillé recouvert de peinture de couleur chaire et dont la tête se prolonge par une cravate rayée jaune et bleu semblable à celle d’Harry Potter, pattern repris à plusieurs endroits. Un buste au sein unique fait dos à une tête de murène terrifiante réalisée en carton. Nemosis Temple trône devant une gigantesque peinture résumant les motifs formels de la sculpture. Bref une pièce passionnante où Laurent Jourquin parvient à se mettre en danger — sans se renier — en s’éloignant de la sculpture en carton qui était jusqu’alors sa marque de fabrique et en explorant de nouveaux champs.

Lauent Jourquin,2013
Lauent Jourquin, Nemesis Temple, 2013
Laurent Jourquin, 2013
Laurent Jourquin, 2013

Très belle surprise également chez la jeune galerie OMS Pradhan qui présente les photographies de Lieven Lefere. L’artiste y met en scène des scénarios étranges, calmes et inquiétants. On hésite à chaque instant entre divers sentiments ambivalents face à ces clichés particulièrement soignés tant la séduction plastique opérée entre en conflit avec la mélancolie froide du sujet. Si General Assembly (réalisée avec Charles Verraest) — vision post apocalyptique de la salle du conseil de l’ONU — est incontestablement la pièce maitresse de cette présentation, d’autres images, moins facilement domesticables ne manquent pas d’attiser la curiosité.

General Assembly
Lieven Lefere et Charles Verraest, General Assembly, 2013.
Window, 2013.
Lieven Lefere, Window, 2013.
vue des l'exposit
vue des l’exposition

La Galerie Sébastien Delire présente une œuvre de Gianni Motti. L’artiste, connu pour avoir notamment revendiqué des tremblements de terre ou tenté de faire démissionner un gouvernement par transmission de pensée, présente ici un épouvantail habillé en businessman et son attaché-case. L’image du businessman est particulièrement date, elle fait penser aux représentations des patrons par Plantu avec une imagerie directement héritée de la crise de 1929 (costume noir, chapeau, etc.). Au-delà de l’interprétation immédiate de l’œuvre qui pourrait paraître un peu facile (il faut fuir les businessmans comme les oiseaux fuient les épouvantails), Motti expose l’impossibilité d’établir un archétype de la figure du trader ou du businessman et donc l’impossibilité pour le peuple de reconnaître son ennemi.

Spauracchio 2013 Technique mixte 250X80X60 cm
Gianni Motti, Spauracchio
2013
Technique mixte 250X80X60 cm

Mais la grosse claque vient de l’exposition Mounir Fatmi chez Keitelman. J’avoue être passé un peu côté de cet artiste dont je jugeai les pièces un peu sages ou trop illustratives même lorsqu’elles revendiquaient un parti pris politique, première impression qui vole en éclat au visionnage d’History is not Mine (2013). L’artiste tape avec des marteaux de tapissier sur les touches d’une machine à écrire. Ce geste a priori destructeur est exécuté avec une douceur infinie, car ce n’est pas de destruction dont il s’agit mais d’incommunicabilité. Cette idée devient limpide lorsqu’on découvre que le texte écrit est recouvert par la ligne suivante, le rendant illisible. Filmée en noir et blanc — seule une partie du rouleau de la machine est teinté en rouge —, cette vidéo rompt avec toute inscription temporelle, voire historique : impossible de savoir où et quand elle a été filmée. On apprend alors que cette œuvre a été pensée par Mounir Fatmi en réponse à ses démêlés avec la communauté musulmane qui a voulu faire interdire une de ses œuvres sous prétexte de blasphème[1]. Bien que partageant la même culture, Mounir Fatmi n’a pas compris la réaction des censeurs et exprime cette incompréhension avec History is not Mine. L’artiste ne cède alors pas à la dénonciation violente et primaire face à une censure nécessairement violente et primaire, mais emporte le spectateur dans une valse des lettres bien plus poétique, et donc politique.

FATMI_history-is-not-mine
Mounir Fatmi, History is not Mine, 2013.
Fatmi
Mounir Fatmi, History is not Mine, 2013.
One of the circles contained verses from the Koran, projected in Toulouse, October 2012
Mounir Fatmi, Technologia, 2012.

[1] Technologia (projection sur le sol représentant des versets du Coran dans le style des Rotoreliefs de Duchamp, 2010) présentée au Printemps de Septembre de Toulouse en 2012 a été retirée suite à des protestations d’une partie de la communauté musulmane.[voir article de Julie Crenn dans Inferno à ce sujet]