Je crois n’avoir jamais manqué une édition du Salon Drawing Now depuis sa création, et pourtant c’est peut être moi qui vieilli ou eux qui s’endorment, mais la dernière édition du salon du dessin contemporain m’a semblé particulièrement molle et ronronnante. Parmi les choses énervantes : la prolifération de dessins « réalistes » qui se contentent de reprendre des images de presse au crayon (« oui, mais tu vois, je change le cadrage alors du coup je critique les médias… ») ; les petites choses insignifiantes dessinées sur des cartes géographiques ; les collages ou dessins sans intérêt sur des couvertures de livres arrachés ; et la disparition quasi totale des dessinateurs de bédé Bref, loin d’être un grand cru, cette édition offre cependant quelques îlots salutaires un peu en marge des pénibles zondereries pour modasses pathétiques, lecteurs des Inrocks et désireux d’investir dans la valeur-travail. Mais l’avantage d’un salon d’art contemporain comme Drawing Now c’est que même lorsqu’il est globalement mauvais, il y a toujours deux ou trois pépites à sauver.
Marie Jacotey (née en 1988) confectionne des petits dessins a priori très anecdotiques. En y regardant de plus près, on y découvre le portrait d’une jeune femme s’interrogeant sur ses représentations, son rapport à l’art et au sexe opposé. L’ensemble forme un journal intime discret et sensible à mille lieues des trashouilleries habituelles liées à ce type de sujet. Seul bémol, la galeriste (Metropolis) qui expose son travail mérite sans doute le prix de la personne la plus désagréable du salon (elle m’a sèchement envoyé balader dès lors que je lui ai demandé des renseignements sur l’artiste). Cette personne a visiblement une vision très singulière de la promotion de ses artistes, et si j’étais Marie Jacotey, je changerais de galerie !



On est toujours aussi heureux de voir ou revoir des petits dessins de Damien Deroubaix (Nosbaum Reding, Luxembourg) ou de Philippe Mayaux (Loevenbruck, Paris), les impressions de Steve Gianakos (AD Gallery, Grece) ou les loufoqueries du duo le plus inventif du dessin contemporain Hippolyte Hentgen. Dans cette même veine, un dessin de Neal Fox est assez réjouissant : on y voit Charles Bukowski en train de méchamment draguer une Minnie pompette alors que Mickey — ivre mort — est étendue sur le zinc. Les grands dessins de Pierre Seinturier (Galerie GP & N Vallois) valent aussi le détour pour leur étrangeté glauque entre Twin Peaks et les bédés de Joe Daly. La maitrise des couleurs de Seinturier est proprement bluffante, servie par des compositions au cordeau.







Dans un genre plus minimaliste, Lucie Le Bouder chez 22, 48m2 met en scène des jeux de lumière au moyen de plaques de plastique finement gravées de formes géométriques. Les traits s’enchevêtrent en brillances jusqu’à perdre le spectateur suivant les rayons qu’ils tracent dans la profondeur du matériau.

Mais l’authentique découverte de ce salon est probablement le duo britannique Chris Hipkiss présenté par la Galerie C (Neuchâtel, Suisse). Chris Hipkiss, qui travaille ensemble depuis une trentaine d’années, confectionne des dessins obsessionnels peuplés de boudins à tentacules qui s’agitent dans des univers urbains utopistes que ne renierait pas Marcel Storr (dont des dessins sont d’ailleurs présentés à quelques pas de là chez Andrew Edlin). Oppressants et précis à souhait, ces traits à l’encre et au crayon — parfois rehaussé d’argent ou de doré — nous transportent dans un univers cauchemardesque. Mais bizarrement cet univers reste confortable, apanage d’un art brut de pleine conscience ? Sur le stand de la galerie, on pouvait également consulter une époustouflante version livresque de leur travail… hélas épuisée.



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ici>>> ma critique de l’édition 2014 de Drawing Now
A reblogué ceci sur Crow Parliamentet a ajouté:
Apologies to those who don’t speak French, but this is a great review of Drawing Now (and our small part in it), courtesy of Maxence Alcaide.
Merci Maxence – et c’était un plaisir de vous rencontrer!