Daniel Clowes, Art School Confidential.
Daniel Clowes, Art School Confidential.

Ça y est, vous êtes (enfin) décidé et vos parents sont plus ou moins d’accord : l’an prochain, vous faites une école d’art. D’ailleurs, ça fait longtemps que vous voulez devenir artiste, graphiste, game designer, etc. ; et, le bac en poche, vous allez pouvoir réaliser votre rêve. Mais pour ne pas se tromper, il faut d’abord comprendre la manière fonctionnent les écoles études d’art.

En France, il existe grosso modo deux systèmes : celui de l’Université dont le cursus est surtout axé sur la théorie (même si la place de la « pratique » varie selon les établissements) ; et les écoles d’art dont la pédagogie est surtout axée sur la « pratique » (même si au fil du cursus, la théorie occupe une place non négligeable).

Dans les deux cas, les études d’art sont des études longues. Le diplôme de Licence (bac +3, aussi appelé DNAP en écoles d’art) étant relativement généraliste, les étudiants préfèrent se spécialiser en Master (bac +5, DNSEP en écoles d’art) afin de consolider leurs acquis.

Autre élément qu’il faut avoir en tête, les études d’art ne débouchent que rarement sur un métier immédiatement après la sorti de l’école. La construction d’une carrière d’artiste est une entreprise de longue haleine — parfois chaotique —, mais le passage par une école permet d’acquérir des bases solides et un réseau qui vous permettra de garder le cap dans vos projets. Et cela est également vrai pour l’ensemble des professions artistiques basées sur la réputation. C’est en ce sens que les chiffres d’insertion professionnels des écoles d’art à la sortie des cursus ne veulent pas dire grand-chose, surtout si on les compare à des filières plus « traditionnelles ». Outre des connaissances pratiques et théoriques, les écoles d’art permettent aussi d’aiguiser son sens de la débrouillardise…

Pour résumer, si vous voulez exercer une profession artistique il faut mieux choisir les écoles d’art, si vous vous destinez plutôt à l’enseignement, la médiation ou la recherche, la fac est le chemin tout indiqué (même s’il existe des ponts entre les deux systèmes). Toutefois, il faut avoir à l’esprit que contrairement à l’Université qui n’a pas le droit de sélectionner ses étudiants à l’entrée de la Licence, les écoles d’art sont des filières sélectives qu’on intègre après un concours. C’est aussi pour cela qu’on a vu fleurir de nombreuses prépas offrant un enseignement exclusivement orienté vers les concours des grandes écoles d’art.

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Marcel est dubitatif…

Que faut-il penser des prépas artistiques ?

Question délicate ? À Paris, il existe quatre prépas publiques : les classes de Mises à Niveau en Art Appliqués (MANAA : Estienne, Olivier de Serres, Boule et Duperré) dont la réputation n’est plus à faire. On les intègre par dossier et concours (eh oui, encore un !). Il existe aussi dans quasiment toutes les villes de nombreuses prépas privées allant de la plus sérieuse à la quasi-escroquerie.  L’inscription est y assez chère (entre 6.000 et plus de 10.000 euros l’année) et la sélection – à quelques exceptions près – quasiment inexistante (on fait souvent passer un entretien, mais c’est vraiment pour la forme…). Le plus difficile est alors d’y faire le tri.

La première chose à demander à une prépa est leur taux de réussite aux concours que vous visez. Certaines écoles sont plus performantes à préparer les concours des Arts déco (Ensad) d’autres aux écoles d’art plastique ou de photo. Sachez que certaines écoles trafiquent un peu leurs chiffres en considérant comme « réussite » le fait que l’étudiant passe le premier tour (celui des dossiers)…

Pensez aussi à demander si les enseignants de la prépa enseignent aussi dans des écoles d’art. Outre le fait qu’il sera plus à même de comprendre les critères de sélection parfois obscures des écoles d’art et de vous orienter, ça peut toujours servir d’avoir un visage connu dans un jury.

Il est aussi important de voir si les prépas ont intérêt à ce que vous réussissiez les concours. En effet, un des but des prépas privées est de faire de l’argent et certaines, peu scrupuleuses, cherchent à remplir leurs formations coûte que coûte. Lors de concours d’entrée en école d’art, j’ai vu des étudiants dont le travail avait été littéralement saboté par leur pseudo-prépa, si bien qu’on s’interroge sur l’honnêteté de ces dernières et la compétence des gens qui y enseignent… Il faut donc voir si la prépa est associée avec une école privée proposant un cursus de premier cycle (bac+2 ou bac+3) et demander leur taux de recrutement dans leur propre prépa. Une école qui recrute en majorité dans sa propre prépa doit vous mettre la puce à l’oreille (c’est une manière d’avoir un cheptel de futurs élèves-clients captifs qui vont payer deux ans supplémentaires de formation !). Mais la présence d’une formation de premier cycle associée à une prépa ne doit non plus être rédhibitoire : j’ai enseigné quelques années à l’Atelier Hourdé qui est une prépa sérieuse et qui possède également des formations de ce type…

Il faut aussi demander à visiter l’école pour voir leurs équipements et les espaces de travail. Vous vous rendrez rapidement compte de l’ambiance qui y règne (il faut par exemple se méfier des écoles désertes !).

Dernière chose, se méfier des écoles qui promettent trop d’évaluations de étudiants. Ces dispositifs servent principalement à rassurer les parents effrayés par les ambitions artistiques « déraisonnables » de leur progéniture. Mais dans les faits, le temps consacré à l’évaluation est du temps en moins dévolu à la pédagogie (et dans ce contexte, le temps c’est votre argent !). Par exemple, il m’est arrivé de démissionner d’une prépa après seulement quelques semaines, car les étudiants n’y apprenaient rien et que les enseignants passaient leur temps à faire des évaluations plus ou moins bidons.

Si vous n’êtes pas parvenu à intégrer une prépa publique et si vous n’avez pas le budget pour payer une prépa privée, tout n’est pas perdu. Une astuce assez peu connue consiste à tenter le concours d’une petite école d’art peu sélective et de se servir de cette année comme d’une année préparatoire (évidemment, ne le dites pas lors des entretiens !). La première année des écoles d’art (aussi appelée « année propédeutique ») est aussi là pour aider l’étudiant à se déterminer. Et qui sait, peut-être prendrez-vous gout à cette école et y ferez-vous votre cursus !

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John Baldessari, I Will Not Make Any More Boring Art, 1971

Comment choisir son école ?

Il faut concevoir les écoles d’art de la même manière qu’on conçoit les écoles supérieures en général. Les Beaux arts de Paris (ensba), de Strasbourg (Hear), de Nice (Villa Arson), de Lyon, etc., sont comparables à de grandes écoles au même titre de Sciences Po ou l’ENA à la fois dans leur recrutement (entre 3% et 5% d’admis pour les plus sélectives !) que dans les opportunités qu’elles offrent à leurs étudiants. La contrepartie est que les intégrer relève souvent du parcours du combattant. Il existe aussi un certain nombre de « petites » écoles, souvent moins connues, dans des villes moyennes, mais qui proposent un enseignement tout aussi intéressant (et je ne dis pas seulement ça parce que j’enseigne dans une de ces écoles…).

On pourrait penser au premier abord que choisir l’école d’art la plus proche de chez soi est la solution la plus rationnelle. Même si c’est de cette manière dont opèrent la plupart des étudiants, le mieux est tout de même de se renseigner sur les écoles selon son projet professionnel. En effet, ça ne vous viendrait pas à l’idée d’aller au resto chinois en bas de chez vous si vous voulez manger une pizza !

La plupart des écoles ont une ou des spécialité(s), et parfois même des sous-spécialités à l’intérieur de celles-ci (une école avec une section « design graphique » peut par exemple être spécialisée en typographie ou en webdesign). Pour connaitre les spécialités des écoles, l’idéal est de se rendre aux portes ouvertes et de discuter avec les étudiants et les professeurs. On peut aussi consulter les sites internet des écoles (mais ces derniers sont rarement très clairs sur ces sujets, surtout pour un néophyte) ou directement les appeler. On peut aussi se renseigner auprès du bde (bureau des étudiants) ou des associations d’étudiants qui ont souvent une page facebook et dont les coordonnées sont disponibles sur le site de l’école.

L’autre raison qui joue en faveur d’une mobilité géographique de l’étudiant est la fameuse sélection à l’entrée. Généralement, les écoles des grandes villes (Paris, Lyon, Nice, etc.) sont aussi celles qui reçoivent le plus de dossiers de candidature. Des écoles moins réputées et/ou un peu excentrées reçoivent moins de candidatures : il est donc plus facile d’y entrer. Même si les écoles les plus réputées assurent incontestablement un meilleur réseau (profs, anciens étudiants, etc.) et des moyens plus conséquents ; les petites écoles ont aussi un certain nombre d’avantages non négligeables. Par exemple, une grande école sera plus sélective ce qui induit une forte émulation, mais aussi parfois un esprit de compétition et un stress parfois difficile à gérer. Une petite école plus familiale permettra à certains profils d’étudiants de mieux s’épanouir et d’y trouver un autre type d’encadrement pédagogique. Bref, il faut vraiment s’interroger sur ses capacités (esprit de compétition, besoin d’un encadrement plus proche, se sentir à l’aise dans une grosse structure ou une petite, confiance en soi, niveau, etc. ). Il faut considérer sérieusement l’opportunité de débuter son cursus dans les petites écoles, car elles permettent à des étudiants qui n’auraient pas eu leur place dans un premier cycle (bac +3) des grandes écoles d’y trouver leur place. Et rien n’interdit de poursuivre son second cycle (bac+5) dans une école plus réputée ; ça peut d’ailleurs être une bonne stratégie dans le sens où le recrutement à l’entrée du second cycle est beaucoup moins sélectif que celui du premier cycle. Par expérience, je connais un certain nombre d’étudiants qui avaient été refusés dans les grandes écoles après le bac et ayant réussi à intégrer ces mêmes écoles à l’entrée du second cycle en ayant suivit leur premier cursus dans une petite école…

Le dernier argument en faveur des petites écoles est qu’elles sont bien souvent situées dans des villes moyennes. Cela éloigne certes des grands pôles culturels, mais permet aussi de pouvoir trouver des logements peu chers, d’acquérir une certaine autonomie et d’avoir un niveau de vie supérieur à celui des grandes villes. Par exemple, au Havre – ville où j’enseigne –, il n’est pas rare de voir des annonces de collocations étudiantes pour 200/250 euros par mois, la plupart des étudiants peuvent loger près du centre-ville, se déplacer en vélo, trouver plus facilement des jobs d’étudiants, etc., autant d’économies et de gain en qualité de vie qui ne sont pas négligeables dans la réussite des études. Dernier argument en faveur des villes moyennes : comme l’offre culturelle y est relativement faible, il est plus facile d’y organiser des événements et de s’y faire connaitre (pensez par exemple à la saturation des expositions qui ont lieu quotidiennement à Paris…).

Dans tous les cas, si vous avez le projet de faire une partie de vos études à l’étranger, renseignez-vous également sur les programmes Erasmus de l’école que vous voulez intégrer. Passer 6 mois à l’étranger fait partie des belles expériences de la vie estudiantine…

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L’Ecole d’art: une occasion inespérée d’apprendre le merveilleux métier de pharaon.

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